Le ministre de la culture du viol n’aime pas le mot démocrate

Lui-même? C’est difficile, il sait qu’il est libre. Il n’aime pas le mot démocrate. Il est libre. La liberté des autres ? Faut voir. Et puis « l’Haïtien, en lui-même, ne peut pas être démocrate ». Il a comme un défaut de fabrique, une structure mentale de la société qui la rend inapte à la démocratie… qui n’est pas telle que nous la comprenons.

À l’émission Haïti Sa k ap kwit d’hier, mardi 23 février 2021, sur Télé 20, le Ministre de la culture et de la communication défendait le Président Moïse contre les accusations de dictature qui plombent les deux dernières années de son mandat. Il finit par, allergique au consentement comme il l’est, par déclarer l’Haïtien incapable de démocratie et Haïti une « société de dictateurs qui s’ignorent ».

C’est une vieille tradition que de qualifier nos présidents,même « élus » de dictateurs. Aristide, bien sûr. Mais aussi Martelly et même Préval. C’est aussi une vieille tradition que d’aller (mal) les défendre dans les médias à l’époque bénie où le gouvernement par décret révèle le caractère résolument peu démocratique de l’État haïtien. Ce sont des traditions que je rêve de voir disparaître, un jour, quand il sera jour.

Haïti n’est pas une démocratie. Pas encore. Nous y aspirons. Nous y travaillons (?). Nous l’appelons de nos vœux mais nous n’y sommes pas encore. Haïti n’est pas non plus une dictature. La dictature, nous l’avons laissée en 1986. Elle nous affecte encore aujourd’hui, nous en avons gardé des pratiques, nous vivons encore avec ses séquelles. Elle n’est plus toutefois … même si nous peinons à faire notre transition vers la démocratie.

Haiti est, pour reprendre la terminologie de l’indice de la démocratie du The Economist Intelligence Unit – un indice bien connu de nos lecteur.rice.s – un régime hybride, une sorte de chimère où les rêves de démocratie se mêlent à la réalité d’un autoritarisme bien ancré. C’est ainsi que, depuis la création de l’indice en 2006, la note d’Haïti a oscillé entre régime autoritaire (moins de 4) et régime hybride (entre 4 et 6), avec son pire score (3.82) sous Martelly et à peine mieux sous Préval, Privert et Moïse.

L’indice ne mesure pas que les actions gouvernementales, il s’intéresse aussi à la société civile et sa participation active dans la politique. Sur bien des points, c’est une mesure de la culture politique d’un pays ; car, la démocratie comme l’autoritarisme sont affaires de culture.

La culture démocratique est une culture du compromis et de la recherche active du consentement. Voilà pourquoi, elle se décline en élections, référendums, pétitions… Elle se préoccupe de mettre en place des outils, des espaces où chacun peut faire entendre sa voix, où les décisions peuvent être prises ensemble, où la politique est action collective. Elle suppose de croire en l’égalité de tous ses membres de sorte que leurs aspirations puissent être considérées comme également valides. Comme le faisait remarquer Periclès, dans son éloge de la démocratie, plus qu’un régime politique, la démocratie est une philosophie du respect et de l’amour de l’autre.

Du fait que l’État, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l’égalité est assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle; enfin nul n’est gêné par la pauvreté ni par l’obscurité de sa condition sociale, s’il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle dans le gouvernement de la république et, dans nos relations quotidiennes, la suspicion n’a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s’il agit à sa tête ; enfin nous n’usons pas de ces humiliations qui, pour n’entraîner aucune perte matérielle, n’en sont pas moins douloureuses par le spectacle qu’elles donnent. La contrainte n’intervient pas dans nos relations particulières ; une crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois, et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense des opprimés et qui, tout en n’étant pas codifiées, infligent à celui qui les viole un mépris universel.

Thucydide, Histoire de la Guerre du Péloponnèse, II, 36-43

Cette philosophie, Periclès la fait reposer sur deux principes et un comportement qui permet de l’intérioriser: l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité devant les lois ; l’uségorie, c’est-à-dire la liberté d’expression; et la philanthropie, c’est-à-dire la fraternité, la tolérance, l’entraide. Pour qu’elle soit, la démocratie exige que chacun de ses membres croit en la valeur intrinsèque de tous les autres. Dans l’indice de la démocratie, cela se traduit en une note entre 8 et 10; avec la Norvège, championne toute catégorie, avec 9.93 en 2014.

L’autoritarisme aussi est d’abord une question de culture. Une culture étudiée pendant 40 ans par le psychologue Bob Altemeyer, spécialiste de la personnalité autoritaire et créateur de l’échelle RWA (pour autoritarisme de droite). Une culture de soumission à l’Autorité et d’agressivité contre l’Autre et sa différence.

Le Professeur Altemeyer s’est intéressé en priorité aux adeptes, leur parcours et leur façon de pensée. Le premier chapitre de son ouvrage de vulgarisation sur la question – disponible gratuitement sur Internet, en anglais – est d’ailleurs intitulé « L’adepte autoritaire ». Il y décrit la personnalité de celui-ci – et présente son échelle RWA – un test que je vous invite à passer, pour vous-même, même si j’aimerais bien connaître vos résultats

La « personnalité autoritaire » – le terme s’utilise de moins en moins – est une série d’attitudes idéologiques. Elle peut donc changer, se modifier, ne plus être. Si elle résulte surtout de croyances et coutumes familiales, elle n’en est pas moins modifiable à l’âge adulte. Dans son étude de la personnalité autoritaire en Amérique du Nord, Altemeyer a pu mesurer une diminution de 15 à 25% après 3 années à l’université, non pas à cause du contenu des cours mais du fait de la fréquentation de l’Autre, noir, homosexuel, athée, socialiste … À supposer que le peuple haïtien était majoritairement autoritaire, le changement n’en serait pas moins possible.

Le peuple haïtien est démocrate toutefois. En tout cas, c’est ainsi qu’il se projette. Dans le dernier sondage d’Ayiti Nou Vle A, nous apprenons qu’il croit les élections importantes pour atteindre au changement (73%) et qu’il est prêt à aller voter (60%) même s’il ne fait pas confiance au CEP actuel (57%), un problème qu’il compte résoudre en se faisant observateur citoyen (75%).

Le problème n’est donc pas du côté du peuple haïtien – qui brûle de participer à sa démocratie – mais du côté de celleux qui prétendent parler à sa place. Des gens qu’il rejette régulièrement mais qui arrivent généralement à s’entendre sur un viol collectif.

Le problème n’est donc pas que le peuple ne soit pas démocrate. Le problème vient du fait que, dans la terminologie de Freedom House, il n’est que partiellement libre (38/100 cette année contre 41/100 l’année dernière), qu’il l’est de façon plutôt stable et que la dernière fois que nous avons osé être libre (1990, notre meilleur score sur Polity IV), un coup d’Etat vint nous rappeler, 10 mois plus tard, que nous ne l’étions pas.

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