La Constitution de 1987 doit être remplacée; tout le monde semble désormais s’accorder à le reconnaître. C’est un patchwork de bonnes idées non testées et ayant le plus grand mal à s’articuler entre elles. Je pourrais me mettre à en faire une liste mais la Professeure Mirlande Manigat l’a déjà fait et beaucoup mieux que je ne le ferais dans son Plaidoyer pour une nouvelle Constitution en 1995. Elle la présentait alors comme inadaptée, inappropriée, défaillante; souhaitant que nous ayons choisi, comme cela avait été proposé, de « nous servir momentanément d’une de nos anciennes constitutions » et d’attendre que le Parlement, issu d’élections démocratiques et représentant légitimement le peuple, puisse nous doter d’une nouvelle Constitution. C’était une position courageuse à une époque où la Constitution de 1987 jouissait encore d’une aura presque magique. L’analyse était toutefois juste et elle s’est vérifiée chaque année depuis.
Trente-trois ans plus tard, nous voilà encore dans ses dispositions transitoires, à discuter de la procédure de nomination d’un Conseil électoral qui ne concernait que le Conseil National de Gouvernement ayant succédé à la dictature (article 289). En 33 ans, nous n’avons jamais réussi à organiser des élections à temps que pour la passe courte d’Aristide à Préval puis, si l’on n’est pas trop regardant, de nouveau à Aristide. En 33 ans, nous sommes à quinze Conseils électoraux provisoires, onze chefs d’Etat provisoires (1986, 1988 (2), 1990 (2), 1991 (2), 1992, 1994, 2004, 2016) et toujours pas de Conseil Conseil Constitutionnel. Nous n’avons pas plus réussi à mettre sur pied le Conseil Interdépartemental ou même les lois d’application prévues par la Constitution elle-même. Mais revenons aux Conseils électoraux provisoires.
Le tout premier CEP naît par arrêté du CNG le 13 mai 1987, nous lui devons les élections du 29 novembre 1987 qui eurent le succès que l’on sait avec des électeurs assassinés et 6 des conseillers en exil. Le deuxième CEP date du 11 décembre 1987; passant outre les récriminations des organisations ayant décidé de boycotter les élections de janvier pour des raisons évidentes, le CNG choisit lui-même les 9 membres, interdit la présence d’observateurs dans les bureaux de vote, et le Professeur Leslie Manigat est élu Président de la République avec 50.38% des voix. En 1989, quelques temps après l’échec de la percée louverturienne de Manigat, c’est au tour du Président putschiste Prosper Avril de monter un CEP pour les élections de 1990 mais cette troisième itération du CEP fera les frais de la chute du général le 10 mars 1990.
Avec la chute du général Avril vient une période plus stable avec la première présidente de la République d’Haïti, la juge Ertha Pascale Trouillot, qui organisa les élections démocratiques qui virent le sacre du Père Jean-Bertrand Aristide élu dès le premier tour par les deux tiers d’un électorat qui jamais plus ne se mobilisera autant. Ce quatrième CEP n’eut toutefois pas non plus la chance de devenir provisoire. Le coup d’Etat du 30 septembre 1991 s’étant entre-temps chargé de détruire une telle possibilité.
Un cinquième CEP voit le jour en 1992 sous le gouvernement de Marc Bazin pour organiser des sénatoriales partielles. Un sixième en 1994, au retour du Président Aristide, pour des élections locales, législatives et présidentielles. Le jumeau du Président et son Premier ministre, René Préval est élu Président. En 1996, après la démission par décret présidentiel des membres du précédent, un septième Conseil voit le jour le 5 novembre pour renouveler le tiers du Sénat et organiser les élections locales.
En 1999, les problèmes reprennent; les élections de mai que devaient organiser un huitième CEP se passèrent comme on sait, avec une écrasante victoire de Fanmi Lavalas et un Président du CEP (Léon Manus) qui part en exil. Le CEP est alors remanié – d’autres conseillers avaient démissionné – et ce neuvième CEP de 2000 continuera avec un deuxième tour boycotté par l’opposition et confirmant la victoire sans limite du parti de l’ancien président Aristide qui, quelques mois plus tard, sera réélu Président de la République d’Haïti.
En 2004, après le deuxième coup d’Etat en deux mandats contre le Président Aristide, un dixième CEP voit le jour, boycotté par Fanmi Lavalas, puis par sa Présidente et représentante de l’Église catholique, Roselor Julien. Un nouveau Conseiller la remplace et des élections sont organisées en janvier 2006 par des conseillers sur lesquels pèsent des accusations de détournement de fonds. En 2007, un onzième CEP organise des sénatoriales partielles de 2009 et s’offre un scandale après avoir refusé les candidatures de tous membres de Lavalas. Le douzième CEP de 2009 accoucha, en 2011, de la présidence Martelly, sur fonds d’accusations de corruption, de fraudes, de détournements de fonds… gentiment condensées par l’une des conseillers, Ginette Chérubin, dans son ouvrage, « Le Ventre pourri de la bête » et publiquement reconnues, à l’université comme à la radio, par un certain Pierre-Louis Opont qui dirigeait alors l’institution.
Dès 2012, le Président Martelly met le cap sur un CEP permanent face à une opposition politique qui craint qu’il ne signifie une mainmise en règle sur le processus électoral. Le 24 décembre 2012, suite à un accord entre le Parlement et l’Exécutif, le Collège transitoire du Conseil électoral permanent (CTCEP) qui fut pratiquement mort-né mais que nous compterons tout de même comme le treizième CEP. Le 22 janvier 2015, le quatorzième CEP voit le jour. C’est le CEP d’Opont; celui avec lequel il réalisera un exploit, celui finira par imploser, en dépit de la loyauté sans failles de ses dames. Le Conseil Électoral Provisoire Permanent dont le Président Moïse vient de prolonger l’existence dans un quinzième CEP.
Bien sûr, tout ceci n’est pas de la faute de la Constitution, dans un pays où elle n’est que papier. Du reste, comment l’en blâmer, elle était une réponse émotionnelle à un moment riche en émotions. Elle a fait l’objet d’un référendum riche en émotions où un seul article tout aussi émotionnel a gagné la faveur du oui, à 99.81%. Elle résulte d’un projet élaboré par 9 experts choisis par le gouvernement que devaient étudier 61 constituants (41 élus par moins de 3% des électeurs et 20 désignés par le CNG) … imprégnés de la nécessité de marquer la fin de l’ère duvaliérienne et de donner une nouvelle orientation au peuple. Le peuple, comme il est de coutume dans ces choses, n’eut pas grand chose à dire. L’abstention débilitante de plus 97% lors du choix des députés à la Constituante n’ayant guère impressionné le CNG, le 29 mars 1987, 1 259 167 d’Haïtien.nes sortirent, vêtu.e.s de blanc, dire oui à un document qu’ils ne connaissaient pas.
Aujourd’hui, les mêmes erreurs risquent de se répéter. En pire. Le Président Moïse et ses conseillers concoctent dans le plus grand secret une constitution qu’il faudra approuver ou rejeter par un référendum qui semble déjà s’annoncer stalinien. Le vrai danger se trouve là. Tout ce que nous savons du texte – depuis janvier, via l’agence de presse Reuters – c’est qu’il sera fait en trois mois, voté à la fin de l’année et devra « corriger les failles du texte de 1987 », majoritairement renforcer les pouvoirs du Président volontairement affaiblis par les constituants de 1987.
La question est de savoir pourquoi maintenant et sans débat. Pourquoi forcer un tel changement lors que des élections législatives sont réputées s’organiser l’année prochaine ? Pourquoi confier l’organisation de ce scrutin à un CEP n’ayant pas le moindre semblant de crédibilité et certain d’être contesté ? Pourquoi ne pas laisser un nouveau Parlement issu des urnes s’ériger en Assemblée nationale constituante et travailler en toute légitimité à la nouvelle Constitution ?
Des rumeurs veulent qu’il s’agisse de mandats présidentiels consécutifs. Ceci expliquerait peut-être cela mais à quel prix ?
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