Contrairement à Hong Kong, Singapour ou même le Rwanda, l’Inde est loin d’être le pays le plus recommandable de sa région. Avec une note de 40 sur 100, c’est même le pays le plus corrompu de l’Asie Pacifique, avec au moins 7 personnes sur 10 versant des pots-de-vin pour avoir accès aux services publics. La corruption y a été institutionnalisée. L’enrichissement personnel des politiciens, normalisée. La justice, asservie. Alors, pourquoi, en parlons-nous aujourd’hui ? Parce qu’il s’agit d’une situation similaire à la nôtre et qu’il importe de rappeler que la lutte contre la corruption doit s’installer dans la durée et que son succès dépend, non seulement de l’éducation, mais surtout de la participation de la population.
Aujourd’hui, nous ne parlerons pas du passé et de ses incidences sur l’avenir. Nous parlerons du présent, de maintenant. Aujourd’hui, nous partons à la découverte de la Campagne nationale pour le droit du Peuple à l’information (NCPRI), son plaidoyer pour une plus grande transparence, ses audits collectifs et ses Jan Sunvais (audiences publiques).
Lancée en 1996 pour promouvoir l’adoption de la loi sur le droit à l’information, la NCPRI est le fait d’une coalition d’organisations de la société civile engagées dans le combat pour la transparence. Elle réussit à faire adopter de nouveaux lois et règlements en matière de transparence, tant au niveau des États indiens que du Parlement national. L’implémentation de celles-ci fut toutefois un moindre succès, le leadership des politiques n’étant pas au rendez-vous. Il revint à la société civile de trouver une solution.
Le raisonnement était simple. Si les gens suivent les actions et autres transactions officielles, la corruption sera plus facile à détecter. C’est ici qu’interviennent les Jan Sunvais du NCPRI pour lesquels, dans la majeure partie des cas, exposer la corruption au public est généralement suffisant pour faire agir les autorités et arrêter les coupables.
Ces audiences publiques – à l’instar de l’#OditKolektif – s’intéressent surtout aux travaux de développement au niveau local. Avant le Jan Suvai, des volontaires du NCPRI rassemblent les documents relatifs au projet – un travail facilité par l’existence de la législation en matière de transparence. Ces archives sont ensuite examinées par les volontaires et les multiples sources croisées pour vérifier que ce qui se trouve sur le papier se retrouve bien sur le terrain. Une audience publique est ensuite planifiée dans la zone concernée et toute la population invitée à grands renforts de publicité. Sont aussi invités les personnes concernées et leurs superviseurs ainsi que les notables et les journalistes comme témoins de l’audience.
Au cours de celle-ci les faits saillants du dossier sont lus à haute voix et la population appelée à se prononcer sur la réalité de ceux-ci. Ceux dont les terres ont été déclarées d’utilité publique ont-ils été dédommagés ? Les salaires mentionnés ont-ils été respectés ? Le terrain de football de l’école a-t-il été construit ? Le stade tout entier est-il fonctionnel ? En cas de divergences, les responsables sont invités à s’expliquer. Ce qu’ils font, généralement, très mal et qui permet d’exposer la corruption au niveau local, avec un intérêt accru des populations pauvres et marginalisés qui, jusque-là s’étaient senties impuissantes face aux coupables et qui désormais ont retrouvé leur voix.
Tout n’est pas gagné. L’existence en Inde, de 1) le droit à l’information et la protection des lanceurs d’alerte et 2) une société civile informée, organisée et vigilante a certes une incidence sur la lutte contre la corruption en Inde mais il manque la troisième pierre du feu : des institutions fortes et indépendantes capables de poursuivre les corrompus au plus haut niveau, dans le public comme dans le privé. Si les audiences publiques ont conduit à l’adoption de nouvelles législations sur le droit à l’information partout dans le pays, la justice indienne n’en demeure pas moins une justice difficilement impartiale avec un nombre disproportionné de cas par devant une Cour suprême dont les juges sont connus pour être corrompus.
Pour aller plus loin, consulter :
CIVIL SOCIETY VERSUS CORRUPTION, Rob Jenkins, 2005,
Using ICTs to create a culture of transparency: E-government and social media as openness and anti-corruption tools for societies, John C. Bertot, Paul T. Jaeger, Justin M. Grimes, 2010.