Le grand complot
Dès midi aujourd’hui, le Nouvelliste nous informait que “selon les premières indications recueillies sur place, c’est des fatras qu’on brulait qui serait la source du sinistre. Le feu a débordé et s’est propagé de point en point jusqu’à atteindre le Marché en fer.” Cela n’a pas empêché le Président de l’assemblée nationale, l’honorable sénateur Lambert de tweeter son dégoût et sa consternation face à un tel crime. Un appel à une attitude plus mesurée est resté lettre morte.
Senatè @josephlambertHT, se senatè w ye. Ou pa ka ensinye nenpòt bagay. Si w gen enfòmasyon, pale ak @pnh_officiel. Sinon, pa pale zafè krim. Prezante senpati w bay viktim yo, travay pou fè lwa epi apiye politik piblik pou pwoteje yo. https://t.co/DN3t9x5Mvj
— la loi de ma bouche (@laloidemabouche) February 13, 2018
Le Sénateur Lambert est resté dégoûté et consterné et il n’était pas le seul. Mario Andrésol, ancien candidat à la présidentielle de 2006 et ancien directeur général de la police nationale d’Haïti, a cru nécessaire de nous informer de la nature rarement accidentelle des incendies de marchés publics en Haïti. Une demande d’explication sur les sanctions appliquées à la fin des enquêtes révélant de telles informations est aussi restée sans réponse :
Je présume donc que les enquêtes précédentes ont abouti. Je ne me rappelle pas que le public en ait été informé toutefois. Quelles sont les sanctions qui ont été prises ? https://t.co/ENorHc5l7C
— la loi de ma bouche (@laloidemabouche) February 13, 2018
Les citoyens lambda aussi s’étaient mis de la partie. Un appel au calme n’a ici, non plus, servi à rien :
Moun ki konnen se dife yo mete nan mache a, se pou yo pataje enfòmasyon yo genyen ak @pnh_officiel. Fokis la pa ka sou politik la non, se sou sa ki ka fèt pou ede viktim yo pou l ye. Li dwe sou kijan nou ka pote kole pou n sove patrimwàn nou. Jouwe youn lòt la ka fèt yon lòt jou.
— la loi de ma bouche (@laloidemabouche) February 13, 2018
L’on savait que c’étaient les mechan lavalassiens, rat pa kaka, qui avaient fait le coup. Le Sénateur Antonio “Don Kato” Cheramy – encore lui – est indexé :
Mèsi don kato pou manifestion an ou te fe nan kanaval la epi aprè sa kom rekonpans mache boule
— Spd kiamata (@SKiamata) February 13, 2018
Le Sénateur Cheramy, non plus, n’est pas en reste. Lui aussi parle d’incendie criminelle, de coup porté contre les pauvres marchandes :
Senate Don Kato – Kap Esplike pouki rezon yo bloule Mache ipolit la ak machandiz malere yo: https://t.co/2mW1UEeWj7 via @YouTube
— haitianbuzz (@haitianbuzztv) February 13, 2018
Nous avons donc un duel de complotistes s’accusant les uns, les autres, ce qui nous laisse peu de temps pour réfléchir sur les vrais problèmes : notre gestion abyssale du bien commun, l’inefficacité de nos plans de contingence et le fait que des solutions individuelles ne pourront jamais résoudre des problèmes collectifs. Le Marché en fer était, selon les informations obtenues d’un responsable de la société qui le gérait, protégé contre les incendies. Ses alentours ne l’étaient pas. Donc, le marché non plus. Le Carnaval battait son plein pendant que le marché brûlait. La protection civile, les policiers, le comité du carnaval national, tout ce dispositif mobilisé pour sécuriser les festivités étaient là mais les pompiers n’avaient pas d’eau. La Digicel a investi 18 millions de dollars, après le tremblement de terre, pour restaurer un élément important du patrimoine national qui redonna espoir à bon nombre d’entre nous et il a suffit de fatras qu’on brûlait pour le détruire à moitié.
Mwen te ale. Li te bèl. E pou mwen apre tranblam de tè an li te banm yon divida lespwa.
— Dolores Neptune (@tidol22) February 13, 2018
Alors que nous dansions sur du fatras, du fatras contribuait à détruire une part importante de notre histoire et de notre architecture. Acte volontaire ou pas, la métaphore est belle. Et le vrai complot se situe finalement dans cet encouragement subtil de nos meilleurs à nous murer dans des camps opposés pour faire porter le chapeau à tous sauf le responsable principal de notre profonde décrépitude: les architectes de la privation de l’État haïtien.
Tout au long de la campagne présidentielle, l’on a essayé de nous vendre le concept de l’État-entreprise et les miracles de l’État géré comme une entreprise comme l’avenir de la démocratie haïtienne. Aussi, avons-nous eu un droit à un nouveau président “entrepreneur”, vantant les vertus de la richesse et continuant d’accompagner le morcellement du corps politique en autant d’intérêts particuliers, où les travaux publics n’ont de public que leur financement et où la lutte contre la corruption ne se conçoit qu’en termes personnels.
La situation évoque les inquiétudes d’Habermas (L’espace public,1960) quant à une “reféodalisation de la société” et de “vassalisation du public”, d’autant plus que nous sommes, peu à peu, en train de l’intérioriser, reprenant, sagement, les fiefs – lavalas, tèt kale – auxquels on prétend nous attacher. Si l’analyse est juste, plus nous continuons dans notre dérive complotiste, plus nos meilleurs maintiendront le contrôle.
Il est de vrais complots à déjouer. L’affaire Petrocaribe ne va pas se résoudre toute seule. Voilà un mystère plus concret à élucider.
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