Lorsque le Costa Rica abolit son armée, le pays venait de sortir d’une guerre civile de deux mois dont le social-démocrate José (Don Pepe) Figures fut le vainqueur. Don Pepe prit le pouvoir, nationalisa les banques et abolit l’armée. L’argent jusque-là investi dans l’armée a été réorienté vers le financement des universités publiques et trois hôpitaux et les militaires invités à rentrer à l’université. C’était, il y a 69 ans, un 1er décembre 1948. Aujourd’hui, le Costa Rica est le pays le plus égalitaire d’Amérique latine en termes d’égalité de genre, connaît un taux d’alphabétisation de 96% et occupe le 48e rang mondial pour l’indice de développement humain – pour comparaison, ses voisins, le Nicaragua et le Guatemala, sont respectivement au 110e et au 118e rang. En 1985, alors que le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua étaient en guerres, l’on enquêta pour savoir si le peuple costaricain souhaitait un retour de l’armée. Les Ticos, ont répondu non, merci, à 90%. Ayant été à l’école, ils avaient retenu leur leçon.
Depuis deux jours, des lycéens manifestent au Cap-Haïtien pour que eux aussi, puissent aller à l’école et retenir leurs leçons. Ils réclament la reprise des cours et questionnent, au passage, la pertinence de choix publiques qui donnent la priorité à une remobilisation hasardeuse de l’armée plutôt que de payer les professeurs de nos écoles. Dans un autre billet, je rappelais que si l’enseignant a une plume, le soldat, lui, a une arme. J’invitais à tenir compte du fait que:
l’armée haïtienne, hormis sa faute originelle momentanée de libération d’asservis colonisés, s’est montrée constante dans sa poursuite d’un asservissement complet de la nation haïtienne. Quand on sait que l’Etat haïtien n’a pas payé ses employés, médecins, professeurs, fonctionnaires… depuis des mois, voire des années.
Je retraçais l’histoire d’une « milice désœuvrée aux allégeances changeantes » qui, à force de coups et de tentatives de coups contre des gouvernements – une moyenne d’une tentative par année – verra l’Oncle Sam venir mettre de l’ordre (1915), avant que, de guerre lasse – vous excuserez du peu – il n’ordonne sa démobilisation (1995).
La nouvelle armée qui s’annonce semble bien partie pour s’installer dans et continuer cette tradition. Avec un président qui annonce le déploiement de son armée pour la commémoration de la bataille de Vertières ce 18 novembre, deux jours avant une rencontre pour la galerie avec « les trois pouvoirs » sur le Haut Etat-major, l’on est en droit d’être inquiet. Des anciens hauts gradés des Forces Armées d’Haïti, sont tout aussi sceptiques. Circonspects, ils appellent le Président Moïse à respecter la Constitution. Le Nouvelliste du 14 novembre nous en offre un florilège:
Pour Mario Andrésol, un ancien officier de l’ex-FAD’H, la velléité du chef de l’État à remobiliser l’armée lui paraît suspecte « dans la mesure où il n’a rien communiqué sur le fonctionnement et la formation de cette armée… »
Naturellement, celui-ci étant un ancien candidat à la présidence, les roses le rangeront probablement dans l’opposition avant de rappeler que « le président a parlé. point barre. »
Pour sa part, l’ancien colonel Himmler Rébu juge que le chef de l’État n’a pas assez d’informations sur ce qu’il veut faire. Selon lui, les autorités devront consulter les articles de la Constitution qui traitent de l’existence, du fonctionnement et de la formation du haut état-major des forces armées. Cela aurait été une mauvaise chose de prendre l’initiative de remobiliser l’armée et de voir après des défaillances conceptuelles. « La Constitution dit ce qui doit être fait sur l’existence de l’armée », a-t-il dit au Nouvelliste.
Le colonel Rébu ayant bourlingué et traîné sa bosse d’une administration à l’autre, rose y compris, il aurait pu être écouté mais bon, « le président a parlé. point barre. »
Les lycéens du Cap-Haïtien n’ayant visiblement pas compris l’évidence de la chose, ils ont maintenu leurs manifestations ridicules. Excédé, le Délégué Départemental, représenté de son Excellence Jovenel Moïse dans le département du Nord, a préféré offrir des vacances inattendues à tous les écoliers « pour une meilleure préparation des activités commémoratives du 214ème anniversaire de la bataille de Vertières. » La « note de presse » dans toute sa splendeur est reprise ici:
Voilà donc des descendants des héros de Vertières privés, comme bon nombre d’entre eux sous la colonie, du pain de l’instruction, sous prétexte de célébrer leur geste. Ce serait à en mourir de rire si ce n’était pas si triste.