Le 1er mai 1886, les syndicats américains lancent une grève générale largement suivie dans tout le pays. Deux ans plus tôt, le 1er mai 1884, ils s’éteint donnés deux années pour imposer aux patrons la journée de huit heures. Le 1er mai 1886, sous l’impulsion, des anarchistes, ils passeront à l’action.
La fête internationale du travail que nous célébrons aujourd’hui est donc d’abord celle de la détermination des ouvriers américains dans la défense de leurs droits à la dignité et à la poursuite du bonheur. C’est aussi l’occasion de saluer le mouvement ouvrier dans ce qu’il a de plus fondamental dans sa lutte contre le capitalisme libéral : la pratique et l’exigence de fraternité.
Dans la suite de la grève, des manifestants mourront, d’autres seront dispersés par la police, certains finiront en prison. Pourtant d’autres premiers mai suivront. 1889: l’internationale socialiste déclare le premier mai jour de manifestation pour la réduction de la semaine de travail à 48 heures (le dimanche est férié). 1890: De nombreux pays se joignent à la célébration. 1891: à Fourmier, dans le Nord de la France, la police tire sur les manifestants et tue 9 ouvriers. Cet événement finira d’asseoir le 1er mai dans la tradition des luttes ouvrières en Europe jusqu’à ce ce que, en 1920, la Russie bolchevique l’institue en fête légale et que, en 1955, le pape Pierre XII, y adjoigne la fête de Saint Joseph, artisan, patron des ouvriers. D’autres pays suivront dont Haïti où le premier mai, fête de l’agriculture et du travail, est synonyme de foires gastronomiques, de tchaka entre amis et de journées à la plage.
Car le premier mai, symbole d’une bataille gagnée par l’humanité contre le dieu-argent, est surtout la célébration de la fraternité, de cet état d’unité à plusieurs, de tous ces moi qui, au-delà de l’ego, forment un tout. C’est la célébration de l’ubuntu. Umuntu ngumuntu ngabantu. Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes. Je suis parce que nous sommes.
La fraternité en devient donc une pratique consciente, un ensemble de moyens pour maintenir et resserrer les liens. Elle se construit, se substantialise dans et par la fraternisation. Elle se formalise, se fait politique dans la participation dans la vie de la cité, à condition égale, par le suffrage universel. Nous voilà en démocratie. La fin de l’histoire nous l’a rendue libérale, axée sur l’individu; un individu-consommateur d’une société du paraître construite autour du capital et qui marginalise ceux qui ne peuvent consommer.
Le 20ème siècle fut le lieu d’une double expérimentation fragmentée du triptyque républicain, de cette devise que nous partageons avec notre ancienne métropole. Liberté. Égalité. Fraternité. La guerre froide fut celle d’un combat sans merci entre les deux premières, en l’absence de celle qui pourtant doit les lier. En retrait, les pays non-alignés, se réclamèrent d’une troisième voie, d’un troisième (tiers) monde, celui de la Fraternité.
La légende veut que ce soit Jean-Baptiste Belley, un des premiers députés noirs de Saint Domingue et héros de la guerre de l’indépendance, qui ait proposé que le terme de fraternité soit ajouté à l’élan révolutionnaire français. J’aime à croire que c’est vrai. Cela expliquerait pourquoi, dans le monde occidental, la notion est si aisément oubliée en faveur de la liberté et de l’égalité individuelles.
Le bloc de l’Est, mené par la Russie et son Union des Républiques Socialistes Soviétiques, s’essaya à l’égalité sans la fraternité, aboutissant à l’imposition de la volonté du plus fort (le Parti) et au règne du totalitarisme au détriment de la liberté du peuple. Le bloc de l’Ouest, mené par les États-Unis d’Amérique, privilégia la liberté sans la fraternité, affirmant par là le droit du plus fort et la toute-puissance du temps-argent sur l’homme et son environnent.
Tim Tim. Bois sec. Ma mère a trois enfants, en l’absence de l’un, les deux autres ne servent à rien. La Déclaration universelle de droits de l’homme, l’a bien compris. Dès son article 1er, elle proclame :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Aux droits fondamentaux de liberté et d’égalité, elle associe le devoir de fraternité, en guise de garantie des premiers. Aussi, la fraternité en devient-elle une nécessité, la condition sine qua non pour que s’accomplisse la République, l’Humanité. Pour que les misérables sortent de la misère. Pour que les affamés mangent à leur faim. Pour que les dominés puissent enfin être libres et égaux. Parce que notre dignité en dépend. Parce que personne n’est libre lorsqu’un autre ne l’est pas. Parce que l’égalité n’est pas possible si un seul de nos frères (et sœurs) ne l’est pas.
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