En 2011, dans un pays en proie à une violence endémique, le gouvernement décida de négocier avec les gangs dans l’espoir de réduire le niveau de criminalité. Ces pouparlers, qui ont bénéficié du soutien de l’Église catholique, d’acteurs de la société civile et d’organisations internationales, ont débouché sur La Tregua (Trève des Gangs), sorte d’accord informel entre l’administration de Mauricio Funes et les principaux gangs du pays dont la Mara Salvatrucha (MS-13) et Barrio 18. Cette trève comprenait un cessez-le feu et des mesures d’amélioration des conditions de vie des membres de gangs emprisonnés. Le cessez-le-feu n’a pas été respecté. En février 2013, les homicides recommencèrent à agumenter. Au mois de mai 2014, ils étaient passés à 14 en moyenne par jour. En 2015, le Salvador avait le taux d’homicides le plus élevé de tout le continent américain. La trève avait échoué.

Quatre ans plus tard, en 2019, un nouveau président, Nayib Bukele, prend le contre-pied de cette démarche et lance une offensive contre les gangs avec des opérations policières et des arrestations massives de personnes suspectées d’appartenir à des gangs. De 103 pour 100 000 habitants en 2015, le taux d’homincide est passé à 7,8 en 2023; soit une réduction de 92.4%. Un succès qui a conquis la population salvadorienne dont le soutien à la politique sécuritaire de Nayib Bukele serait de 92%. Un succès qui, l’année dernière, a vu la réélection du président avec 84,65 % des voix.

Au total, 75 000 membres de gangs présumés ont été emprisonnés. Et si des préoccupations existent en termes de respect des droits de l’homme et de l’État de droit, le président Bukele estime, que dans les cironconstances, le risque qu’un innocent se retrouve en prison est parfaitement acceptable et son peuple, à au moins 86.45%, semble d’accord avec lui. Après tout, qu’est-ce un peu d’usage excessif de la force et quelques atteintes aux libertés civiles entre amis?

En Haïti, le Conseil présidentiel de transition fraîchement créé semble plus Funes que Bukele. Sa démarche serait même plus ambitieuse. Plutôt que la trêve, il se proposerait de signer des traités de paix. Une proposition curieuse s’il en est, Haïti n’étant en guerre ou conflit ouvert avec aucune nation et la signature d’un traité de paix intervenant généralement à la fin d’un conflit armé ou à la résolution de différends internationaux.

L’inclusion d’une telle disposition dans l’accord semble en anticiper le besoin. À moins que le Conseil ne se prépare à déclarer la guerre, disons, à la République dominicaine pour cause de canal bloqué, nous sommes forcés d’en déduire que ces traités particuliers visent les gangs qui, s’évertue-t-on à nous répéter, seraient responsables d’une guerre civile et d’un génocide qui seraient en cours dans le pays.

Il serait sans doute utile au CP de comprendre non seulement que les négociations de l’État avec les bandits échouent toujours mais surtout les raisons pour lesquelles de telles initiatives ne se terminent généralement pas autrement. Au-delà du défaut de confiance mutuelle, des défits inhérents à la mise en oeuvre et au maintien d’un accord avec des groupes criminels, et même des pressions politiques et sociales, la cause première de ces échecs répétés est sans doute le fait que la résolution des problèmes de sécurité et de violence exige une approche combinant les mesures répressives de Bukele, la réhabilitation et la réintégration sociale suggérée par Lula quand le Brésil était à la tête de la MINUSTAH, ainsi que des efforts réels pour aborder les causes profondes des conflits et de la criminalité en Haïti.

Les recherches en politique, en relations internationales et en psychologie sociale s’accordent pour constater les faibles chances de réussite des négociations de ce type. En relations internationales, deux théories, celles du réalisme (Morgenthau, H. J. (1948) ; Waltz, K. N. (1979)) et de l’équilibre des menaces (Walt, S. M. (1987), Jervis, R. (1978)), expliquent la raison de tels échecs : 1) les acteurs étant motivés par leurs intérêts propres, définis en termes de pouvoir et de sécurité, les groupes criminels voient en ces négociations une opportunité de consolider leur pouvoir ou de gagner du temps pour se réorganiser, 2) les acteurs cherchant à équilibrer les menaces perçues dans leur environnement de sécurité, les concessions faites lors des négociations sont souvent perçues comme affaiblissant la position de l’État et finissent par provoquer une escalade de la violence plutôt qu’à une résolution pacifique.

La psychologie des groupes criminels (Abadinsky, H. (2016); Lyman, M. D., & Potter, G. W. (2018)) rappelle que ceux-ci sontr souvent caractérisés par des structures rigides, une culture de violence et des dynamiques de groupes favorisant la méfiance et la rivalité. Le chef de gang Lanmò SanJou ne vient-il pas cette semaine de tuer un de ses lieutenants et quelques-uns de ses « soldats » suspectés de se lancer dans une entreprise indépendante? Il est difficile dans de telles conditions de créer la confiance nécessaire pour des négociations fructueuses. Mais, de façon plus importante, et ainsi que nous l’explique la psychologie des confits (Kelman, H. C. (2008: 77-94); Bar-Tal, D. (2000: 351-365)), le traumatisme collectif, la perception d’injustice qui auraient pu icniter les groupes impliqués de respecter les accords conclus, ne sont pas du côté des gangs mais de celui de la population. Il est donc vain d’essayer de les y engager. Du reste, on ne négocie pas avec les terroristes.


PS: Pour celleux qui sont intéressés à creuser, les références dans le texte sont ci-dessous:

  • Théorie du réalisme :
    • Morgenthau, H. J. (1948). Politics among nations: The struggle for power and peace. Knopf.
    • Waltz, K. N. (1979). Theory of international politics. Waveland Press.
  • Théorie de l’équilibre des menaces :
    • Walt, S. M. (1987). The origins of alliances. Cornell University Press.
    • Jervis, R. (1978). Cooperation under the security dilemma. World Politics, 30(2), 167-214.
  • Psychologie des groupes criminels :
    • Abadinsky, H. (2016). Organized crime. Cengage Learning.
    • Lyman, M. D., & Potter, G. W. (2018). Organized crime (7th ed.). Pearson.
  • Dynamiques du conflit et de la résolution :
    • Kelman, H. C. (2008). Social-psychological dimensions of international conflict. In Handbook of Peace and Conflict Studies (pp. 77-94). Routledge.
    • Bar-Tal, D. (2000). From intractable conflict through conflict resolution to reconciliation: Psychological analysis. Political Psychology, 21(2), 351-365.

4 réponses à « Des traités de paix en l’absence de guerre »

  1. […] La justice transitionnelle est généralement conçue pour traiter les crimes graves commis dans le cadre de conflits armés ou de régimes autoritaires, dans le but de rétablir la justice, promouvoir la réconciliation nationale et prévenir de futurs abus. Dans le cas de gangs criminels opérant dans un contexte de criminalité ordinaire, les principes de la justice transitionnelle ne sont pas pertinents et pour cause. […]

    J’aime

  2. […] traités de paix que le Conseil présidentiel prévoit de signer pendant la transition, d’autant nous ne […]

    J’aime

  3. […] exactement pour cela que les débats sur l’amnistie, la justice transitionnelle et autres plans de négociations avec les gangs sont dangereux. On ne peut pas leur faire confiance. Les gentils gangs […]

    J’aime

  4. […] exactement pour cela que les débats sur l’amnistie, la justice transitionnelle et autres plans de négociations avec les gangs sont dangereux. On ne peut pas leur faire confiance. Les gentils gangs […]

    J’aime

Répondre à Il est encore temps de corriger l’accord du 4 avril 2024 – La loi de ma bouche Annuler la réponse.

Trending