Commençons par le commencement. Avez-vous déjà accepté Søren Kierkegaard comme votre philosophe personnel ? Si oui, continuons. Sinon, acceptez-le puis revenez-nous.
Entendons-nous: l’absurdité du Noir chrétien n’a rien à voir avec la couleur de peau du Christ. Nous donnons parfois dans le superficiel ici mais jamais à fleur de peau. Le christianisme d’un.e noir.e ou d’une femme étonne non pas parce que Jésus est un homme non-noir mais parce que la Bible est trop souvent misogyne, raciste, esclavagiste et colonialiste pour n’être pas source de dissonance cognitive chez les adeptes. Sur ce blog, nous ne jugeons pas les dieux sur la couleur de leur peau mais sur la valeur de leur caractère.
Il n’existe guère de description physique de Jésus dans les Évangiles, peut-être parce que, transhistorique – je vous l’avais bien dit de commencer par accepter Kierkegaard comme philosophe personnel – il est de toujours et de toute éternité. Nous savons toutefois qu’il était juif, né à Bethléem d’une famille dont l’ascendance remonte au grand roi David et élevé à Nazareth avant de se lancer dans une carrière de prêcheur dans la Galilée et au-delà. De cela, nous pouvons déduire qu’il ressemblait au nazaréen moyen: proche-oriental, teint olivâtre, probablement barbu. Nous pouvons en être certains parce que nous le retrouvons se promenant en Galilée sans que personne ne le traite en étranger.
Si nous admettons l’existence historique de Jésus, l’homme n’était de toute évidence ni le blond aux yeux bleus de la Renaissance ni le noir aux cheveux crépus du manifeste éthiopien. Si tant est qu’il a existé en tant que prophète/messie/fils de Dieu, il y a deux mille ans, en Galilée, il n’aurait pu être de type caucasien ou négroïde sans que quelqu’un n’en fasse la remarque. Alors pourquoi un Jésus blanc (ou noir) ? Parce que, l’homme, souvent, crée Dieu à son image et à sa ressemblance. Jésus étant Dieu, il ressemble à ses fidèles. Il est latino quand ils sont latinos. Noir quand ils sont Noirs. Blanc quand ils sont Blancs. Jésus est un caméléon.
Jésus est un caméléon parce qu’il est celui qui est (Exode 3:14; Apocalypse 1:8). Il est, Il était, Il vient. Il est d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il adopte la forme de l’espace-temps qui le contient. Jésus est, avant tout, un concept vivant: la Parole (Jean 1). Il était au commencement. Il sera à la fin. Et même après la fin. Il Est. S’il devait revenir en Haïti, en ce 20 janvier 2024, Jésus serait possiblement une trentenaire noire, de taille moyenne, parlant créole. Il changerait au fil de ses incarnations à la manière du Docteur ou, pour rester dans le registre divin, à la manière de Loki.
Est-ce important que nos dieux soient de la même couleur que nous ? Pas forcément mais il est un fait que les dieux ont tendance à finir par ressembler à ceux qui croient en eux. Un peu comme les gens en couple finissent par se ressembler. Avant qu’Olaf Tryggvason ne pacifie la Norvège – lire trucider une bonne partie de la population – pour la convertir (et avec elle toute la Scandinavie) au Christianisme, les dieux norvégiens étaient ceux d’un paganisme nordique (dérivé du paganisme germanique) polythéiste, non doctrinal, transmis par la tradition orale et fortement intégré à la vie de tous les jours. Il s’agissait d’une religion communautaire où les dieux étaient connus par leurs histoires incroyablement humaines. Pas de codification, pas de textes sacrés, just vibes. Des dieux rangés en deux catégories : Vanir et Æsir. Vie et Mort. Fertilité et Pouvoir. Prospérité et Guerre.
Si tout cela vous rappelle le vodou, les rites rada (doux) et petro (chaud), les Erzulies Freda (amoureuse) et Dantor (guerrière), c’est à dessein. Je ne vous ai pas emmenés spécifiquement en Norvège pour rien. Devenus chrétiens, les Norvégiens ont gardé leurs traditions païennes en les christianisant et ont adapté le christianisme en le paganisant; c’est de bonne guerre. Au mois de décembre dernier, dans les montagnes du Sud de la Norvège, un détecteur de métal a retrouvé une pièce de monnaie byzantine datant de l’époque de la christianisation de la Scandinavie, et, en ce qui me concerne, leur Jésus ressemble fort à un Viking tenant une Bible.

L’iconographie religieuse est affaire de stéréotypes visuels, de représentations allégoriques et non de transcriptions de la réalité. Cela facilite une propagation mémétique des religions, entre deux syncrétismes religieux. Jésus-Christ crucifié (ou son cœur sacré) est Lenglensou parce sa tête est couronnée d’épines. Est-ce à dire que Lenglensou, loa vengeur à l’offense facile, serait Blanc ? Vous n’y pensez pas! Sa couleur (dans l’image) n’importe guère. Ce qui importe est de le reconnaître.
Et quand le Noir asservi, soucieux de ne pas être blanchi pour défaut de croyance chrétienne, a vu chez le maître les attributs de Lenglensou, il l’a vite reconnu et s’est senti conforté. Sa vengeance ne tarderait pas et elle sera terrible. Vive Jésus !





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