À Port de Paix, un permis de tuer

Dans l’État en échec qui est le nôtre, en l’absence de la police nationale, les autorités locales improvisent. À la Croix Saint-Joseph, troisième section communale de Port-de-Paix, le conseil de la section communale (CASEC), dépassé par la mainmise des gangs sur la population, invite la population à se faire elle-même justice. Baptisée Operation Chache Bandi, cette politique sécuritaire d’un nouveau genre est d’une rare simplicité: la population identifie gangsters, kidnappeurs et autres criminels et les exécute, séance tenante, sans autre forme de procès.

C’est la mort, ce 2 octobre 2022, d’Éric Prospère, un chef de gang présumé, qui aurait servi d’action inaugurale. Excédés par la terreur qu’il faisait régner sur la section, les riverains l’auraient exécuté avant de le décapiter. Depuis, ce sont, d’après Fénélus Joseph, coordonnateur du Conseil, au moins 6 autres bandi auraient été tués en deux jours. En autorité responsable, il invite tout de même ses administrés à faire preuve de discernement dans leurs tueries, à « bien identifier ses oppresseurs afin d’administrer la peine qui s’impose ».

M. Joseph ne serait pas seul dans cette approche hands-off de la sécurité publique. Ici, un édile prie ses administrés de surseoir aux décapitations des bandi de façon à faciliter le travail de la voirie – les cadavres entiers étant plus aisés à gérer. Ailleurs, un CASEC appelle à reprendre les brigades de quartiers et débusquer les étrangers. Il importe désormais de montrer aux bandi à qui ils ont affaire et si quelques innocents y passent, ma foi, Dieu reconnaîtra les siens.

Il n’y a pas longtemps, un vieux client de mon père s’était rendu à S., dans le sud du pays, pour consulter un houngan sur une affaire pressante. Il était accompagné de son fils, jeune vingtaine, allure peu conventionnelle, dread locks et dégaine de personne ayant définitivement consommé trop de culture populaire américaine. Malheureusement, ils sont arrivés à un moment où la population s’était mise en tête de purger la zone de bandi venus de la capitale et qui s’y étaient réfugiés. Il était sorti, il faisait nuit, il avait le profil, le fils finit en dommage collatéral.

Le père est rentré chez lui, meurtri. La famille s’est attachée à ne pas trop ébruiter l’affaire dans l’espoir d’éviter la honte qui y serait attachée. Que le malheureux soit mort dans de telles circonstances était déjà assez pénible mais que ce soit en allant chez un houngan en dehors …

Un commentaire sur “À Port de Paix, un permis de tuer

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  1. Votre récent article a relaté le fait que nous avons affaire à un état failli. Rien n’est étonnant.

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