Cela fait au moins deux ans que je dois un billet au Dr Dieudonné Jean-Baptiste, grand spécialiste de la « médecine fonctionnelle » en Haïti et désormais grand prescripteur de médicaments contre la COVID-19 sur une station de radio à grande écoute. Cela se tient. Le Dr Jean-Baptiste a des pratiques médicales douteuses – mais bon, d’un adepte de médecine alternative on peut difficilement attendre mieux – et n’en est pas à sa première promesse de remède miracle contre la COVID-19. Il réussit à gonfler l’infodémie ambiante, grâce à la publicité gratuite que lui font allègrement nos médias de la presse écrite, parlée et télévisée sans que leur comité éditorial ne s’arrête un instant pour vérifier les dires de ceux qui interviennent sur un sujet aussi sensible avant de les partager avec le grand public.
Dans l’extrait ci-dessus, le Dr Jean-Baptiste invite la population à utiliser l’ivermectine pour traiter la COVID-19 alors que, depuis le mois de mars, l’Organisation Mondiale de la Santé interdit de l’utiliser en dehors des essais cliniques parce que
les données selon lesquelles l’ivermectine permettrait de réduire la mortalité, la nécessité d’un recours à la ventilation mécanique, la nécessité d’une hospitalisation et la durée avant une amélioration clinique chez les patients COVID-19 étaient « très peu fiables », en raison de la petite taille des essais et des limites méthodologiques des données d’essai disponibles, notamment du faible nombre d’effets indésirables.
OMS, L’OMS déconseille d’utiliser l’ivermectine pour traiter la COVID-19 en dehors des essais cliniques, 31 mai 2021
L’organisation prend même le temps de rappeler, dans une note pour les éditeurs, ses recommandations antérieures concernant l’utilisation des traitements contre la COVID-19:
- recommandation forte pour les corticostéroïdes
- recommandation conditionnelle pour le remdesivir
- recommandation forte contre l’hydroxychloroquine
- recommandation forte contre le lopinar/ritonavir
- recommandation conditionnel pour les anticoagulants
C’est l’Inde qui a relancé le débat sur l’utilisation de l’ivermectine – jusque-là surtout prescrite contre la gale – comme traitement de la COVID-19. En avril 2021, comme elle devenait le nouveau foyer de la pandémie, l’Inde recommanda l’utilisation du traitement de l’antiparasitaire et les réseaux sociaux ont fait le reste.
Les spécialistes eux sont moins séduits. La Société française de pharmacologie et de thérapeutique, citée par Ouest-France, fait remarquer que:
la plupart des études cliniques publiées récemment sur le sujet sont peu concluantes, la grande majorité sont soit des prépublications non validées par leurs pairs soit, quand elles sont publiées, des études ayant des biais méthodologiques rendant les résultats difficilement interprétables et ne permettant pas de tirer des conclusions [De plus] La concentration à laquelle l’ivermectine a un effet thérapeutique sur le Sars-CoV-2 in vitro est 35 fois plus haute que le pic de concentration obtenu après l’administration de la dose orale recommandée chez l’homme pour le traitement antiparasitaire habituel.
Ouest-France, Cinq questions sur l’ivermectine, ce médicament controversé utilisé par l’Inde contre le Covid-19, 16 juin 2021
En clair, cela ne marche pas. Tout comme la « médecine fonctionnelle », en fait. Parce qu’une médecine alternative qui fonctionne s’appellerait tout simplement la médecine. Malheureusement, non content de pratiquer ce qui s’apparente à du charlatanisme dans sa clinique de Pétion-Ville, le Dr Dieudonné Jean-Baptiste qui doit être en manque de clients patients à mettre en danger s’essaie à mettre en danger la population toute entière.
Jusqu’ici pour avoir accès à ses traitements miracles pour toutes les maladies – de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) – il prétend avoir déjà reçu des patients en provenance des îles turques qu’il aurait guéri en deux temps trois mouvements – à la vieillesse dont il guérit grâce à l’alimentation, sans oublier le cancer, tous les cancers, dont il sauve grâce à des suppléments alimentaires magiques – il fallait se rendre à sa clinique et passer une consultation initiale où rien que déposer votre doigt sur un appareil attaché à un ordinateur permet de décoder votre génome entier. Malheureusement, des ami.e.s et même quelques parents se sont laissé.e.s momentanément prendre au jeu de ce Ti mepri de milieux huppés dont deux sont tombés malades des soins du docteur.
Parallèlement, le Dr semble tester des médicaments pour le PPD, une institution qui a des contrats avec les entreprises pharmaceutiques pour effectuer des essais cliniques. Il ne s’en cache pas; l’information étant fièrement ajoutée sur sa page LinkedIn pour donner du crédit au caractère « international » – le très pompeux nom de sa clinique est Priority Health International (PHI) – de sa pratique. Je n’ai pas réussi à trouver s’il a une autorisation en bonne et due forme pour utiliser ses patients comme autant de cobayes mais j’apprécie l’incroyable chutzpah qu’il faut avoir pour leur faire payer cet honneur au prix fort alors que déjà il se fait payer par le PPD.
En gros, le Dr Jean-Baptiste trafique dans la promesse de miracles à des gens déesespérés. Et y est-il plus désespéré en ce moment qu’un peuple livré à lui-même dont la vie quotidienne est rythmée par les nouvelles de guerre de gangs, de kidnappings et de morts de la COVID-19 qui lui arrivent par WhatsApp ?
Un collègue et ancien camarade de classe à la Faculté de médecine de Port-au-Prince assure que le Dr Jean-Baptiste est le premier à croire à ses billevesées puisqu’il est lui-même son premier patient. Il en parle comme d’un fou victime de son propre délire. Si c’est effectivement le cas, c’est un fou dangereux, et il est grand temps que les autorités compétentes interviennent – et comme, de coutume, elles n’interviennent guère – que les médias arrêtent de propager ses boniments.
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