« La fin de l’Histoire » ayant consacré le triomphe absolu de la démocratie, les autocrates du monde entier durent s’adapter. La présidence à vie laissa la place à la présidence par itération où, régulièrement, le peuple, pour marquer sa grande approbation du président en fonction, le maintient au pouvoir, de mandats en mandats. Aujourd’hui, nous nous rendons en Ouganda, pays enclavé de la région des Grands Lacs, dont le Président par itération vient de s’offrir, le 16 janvier 2021, un 6ème mandat.
Au « pays de beauté », les trois quarts de la population – ceux en dessous de 35 ans – n’ont jamais connu qu’un seul président : le Général Yoweri Tibuhaburwa Kaguta Museveni (le Sage), 76 ans dont 35 au pouvoir et fraîchement réélu pour un sixième mandat, le 16 janvier 2021. Éleveur de bovins, prédicateur évangélique et rebelle émérite, cet ancien « grand-frère » du président rwandais Paul Kagame – ils sont désormais en froid – incarne magnifiquement ce que lui-même avait désigné comme le plus grand problème de l’Afrique : les présidents qui s’éternisent au pouvoir.
L’Ouganda est un pays très jeune, à la croissance démographique élevée (3% l’an), où l’âge médian est de 16 ans et où l’espérance de vie à la naissance est de 56 ans, pour un âge moyen de 15 ans. Alors que le pays s’en va s’ajeunissant, son dirigeant s’en va vieillissant, allant jusqu’à faire supprimer la limite d’âge (75 ans) à la présidence pour pouvoir se présenter aux présidentielles de cette année et s’accorder un nouveau quinquennat.
Même s’il n’arrive à la tête du pays qu’en 1986, c’est en 1980 que commence l’aventure présidentielle de Museveni. Il se présente aux présidentielles – qu’il perd – et lance une guérilla – l’Armée de résistance nationale (NRA ) – qui, 6 ans, plus tard, délogera Milton Obote du pouvoir.
Obote est l’ancien Premier ministre du premier Président ougandais, le roi Mutesa II, dernier monarque du royaume de Bouganda qui, de 1962 à 1966, préside en nom aux destinées de son pays. Le vrai pouvoir est concentré entre les mains d’Obote qui finira par s’allier au général Idi Amin Dada pour exiler Mutesa, assumer le double rôle de Président et de Premier Ministre, suspendre la Constitution et installer un régime à parti unique résolument autoritaire.
Obote sera à son tour, chassé du pouvoir, par Amin Dada, qui, entre le 25 janvier 1971 et 11 avril 1979, se fera Président à vie et se couvrira de titres et de médailles pour entrer à la perfection dans l’image du dictateur fou, destructeur et sanguinaire. Se succèdent 3 présidences dont une de moins d’un mois débouchant sur une Commission présidentielle qui organisera des élections dont sortira vainqueur Obote, généralement considéré comme le père de l’indépendance ougandaise.
La présidentielle de 1980 est contestée, au nord du pays, par Museveni et son NRA certes mais aussi par les milices restées fidèles à Amin Dada, au Sud. La situation se fragilisera du fait de différends croissants entre le président Obote et l’armée qui finit par le renverser le 27 juillet 1985. Profitant de la confusion ainsi générée, dont un bref intermède militaire, Yoweri Museveni prendra le pouvoir le 26 janvier 1986 pour ne plus jamais le rendre.
C’est entre 1971 et 1973, alors qu’ il est en exil en Tanzanie, que Museveni fonde le Front de sauvegarde nationale (Fronasa), une milice rebelle socialiste contre la dictature de Dada. En 1976, il est rejoint par un jeune rebelle/espion rwandais du nom de Paul Kagame qui sera l’ un des 27 originals de la NRA et l’attaque qui lancera officiellement la guérilla et qui la mettra sur le chemin de la victoire: l’attaque contre la Kabamba Military School, le 6 février 1981. Après 5 ans de guerre civile – la guerre de brousse ougandaise – il devient Président de la République, sur fond de tabula rasa. Dans son discours devant les marches du Parlement ougandais, il promet la fin de l’autoritarisme et un retour à la démocratie.
Il ne s’agit pas simplement d’un changement de garde mais d’un changement fondamental… Le peuple africain, le peuple ougandais, a droit à un gouvernement démocratique. Ce n’est pas une faveur accordée par un quelconque régime. Le Souverain doit être le public, et non le gouvernement.
Il faudra attendre 1996, soit 10 ans après ce retour triomphal à l démocratie, pour les premières élections de l’ère Museveni. Entre-temps, il s’était fait une réputation de bon élève auprès du Fonds Monétaire International, appliquant, dès 1987, leurs programmes d’ajustement structurels. Il est certains problèmes de violation de droits de l’homme – Amnesty International publie un rapport en 1989 détaillant 3 années de répression par le régime – mais, en général, la communauté internationale est satisfaite… de la stabilité en Ouganda et la réputation de Museveni comme élément stabilisateur de la région va grandissant.
Depuis, tous les 5 ans, Museveni organise des élections qu’il gagne aisément. Ses opposants dénoncent fraudes électorales répressions, menaces et assassinats. Museveni, lui, se projette encore comme le sauveur de l’Ouganda, le seul rempart contre le chaos voulu par les ennemis de la démocratie, de l’Ouganda et de l’Afrique.
En janvier 2021, quelques jours avant la présidentielle, en réponse à la décision de la compagnie Facebook de suspendre les comptes de certains officiels, son gouvernement décide de suspendre l’accès à tous les réseaux sociaux et services de messagerie jusqu’à nouvel ordre. La menace d’« ingérence de forces étrangères » voulant installer « un régime fantoche en Ouganda », étant passée – lire que Museveni a été réélu – l’accès est rétabli mais Mzee veille. Il sait que « certains jouent avec le feu et sont soutenus par des puissances étrangères, mais … Personne ne pourra [le] perturber ».
La jeunesse urbaine du pays s’est toutefois trouvée un champion en Bobi Wine – nom de scène de Robert Kyagulanyi Ssentamu – , député de 39 ans, régulièrement jeté en prison et récemment candidat à la présidence face à Museveni. Chanteur, acteur et homme d’affaires ougandais, il est, depuis 2017, la seule vraie concurrence de Museveni à la présidence de l’Ouganda. De nouveau en liberté, il continuera sans doute à mobiliser ses soutiens avec l’objectif de réduire plus avant la mainmise de Museveni sur l’Ouganda.
Voilà donc Museveni, président s’éternisant au pouvoir, face à un trentenaire déterminé à le lui prendre. C’est une loi de la nature: le neuf remplace le vieux. Ce qui doit être quelque peu déprimant. Heureusement, pour Museveni, il lui reste encore quelques contemporains avec qui commisérer sur le temps qui change, tel Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée électorale, le plus ancien président en exercice au monde et prochain invité de notre série sur la présidence par itération.
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