À P., le séisme de 2010 a surtout été matière à chanter les louanges de Dieu qui a épargné ses serviteurs. Qu’importe que Dieu ait eu des serviteurs ailleurs où des milliers sont morts et des millions ont tout perdu. Personne n’était mort à P., c’était la preuve que l’Eternel les avait secourus. Parmi ceux qu’IL avait secourus se trouvait un ancien chef de rara qui rêva un songe, eut une révélation, et se fit Pasteur. Dans sa petite maison en paille – il a une grande Église en béton désormais – il a commencé à recevoir des fidèles et les traiter de tous ces maux non naturels qui affectent Haïti et les Haïtiens exclusivement.
Dans ce centre de santé spirituelle, Pasteur Ti Mepri, prie et soigne… l’âme. Ces soins ont naturellement un coût – et requièrent des médicaments bien physiques consistant en huile, lait et autres produits vendus par sa femme dans une petite boutique à l’arrière de son église – mais il ne se propose pas de soigner les « maladies naturelles » et la loi du 10 juin 1940 réglementant l’exercice de la médecine, de la pharmacie et de l’art dentaire ne nous est donc d’aucun secours. Au centre de santé bien terrestre de la Fondation, nous avons fini par nous résoudre à l’enjoindre lui aussi, comme nous le faisions déjà avec les houngans, de nous envoyer les malades pour le traitement physique qui doit suivre le traitement spirituel. S’adapter est utile à la survie de l’espèce.
Ce n’était pourtant pas faute d’essayer. À la Fondation, nous avons une radio et nous avons tenté, émissions après émissions, spots après spots, de décourager les gens de participer à ce qui nous semble être évidemment une arnaque. Mais, à la radio, nous avons aussi des émissions évangéliques – la communauté est très religieuse – ce qui complique quelque peu le message. La grande majorité des gens reste bien loin de Ti Mepri mais la détresse humaine est puissante et il offre une échappatoire. Et, après tout, qu’est-ce la religion, sinon cette échappatoire… vers un monde meilleur… à venir.
C’est ici que se trouve la plus grande difficulté. Comment distinguer la vraie pratique religieuse de l’arnaque ? L’arnaque (escroquerie) vient avec l’exigence d’établir la fausseté de l’offre. Or, la croyance en Dieu n’est pas falsifiable, tout se passant après la mort. La réponse objective est qu’on ne peut pas; d’où la liberté de religion.
La Constitution haïtienne dans son article 30 établit la liberté de cultes. Une liberté fondamentale. Une liberté au cœur de la révolution libérale contre l’absolutisme royal. Le droit de croire pour soi-même, par soi-même, la fin du cujus regio ejus religio, la liberté de conscience, de pensée, d’expression. Car, au final, c’est bien de cela qu’il s’agit. De poser les libertés individuelles comme limites imposées à la toute puissance de l’Etat dans la République. Voilà pourquoi il importe que l’Etat pratique la distance sociale sauf en cas de crimes : abus sexuel, refus de soin, abus sur des mineurs et autres personnes protégées. Sinon, c’est la voie ouverte aux dérives autoritaires.
Les tendances autoritaires en Haïti font constamment l’objet de réflexions sur ce blogue. Elles accompagnent un discours misérabiliste, infantilisant où le peuple a besoin qu’on fasse pour lui, en dépit de lui. Nous sommes des adultes réputés dotés de sens critique et donc libres de croire aux aberrations de notre choix. Mais pas le peuple. Lui ne peut choisir. On doit lui imposer. L’Etat doit le délivrer de ces prophètes et bergers qui le pillent et le volent. Sauf que l’Etat est un monstre à restreindre et que quand on lui donne un doigt, il prend un bras. Après, sans aucune base légale, être intervenu pour fermer l’église d’un Pasteur qui n’a pas votre bénédiction, que se passera-t-il quand il viendra fermer la vôtre ? Et quand il décidera du Dieu que nous devons servir et cherchera à nous l’imposer, moi qui n’en sers aucun et n’ai pas l’intention d’en servir jamais, cela me laisse où ?
Avec la fin de la liberté de religion vient celle de la pensée et de l’expression et alors la loi de nos bouches ne sera plus qu’un lointain et dangereux souvenir.
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