Joubert Joseph (@joubertjoseph) est journaliste et participe à l’initiative « Haïti sous la dictature » (#AnbaDiktati). Il propose ici un billet où il déconstruit certains mythes répandus sur le duvaliérisme, chiffres et références à l’appui.
Par ignorance, amnésie, naïveté ou amour pour le régime rétrograde qu’est la dictature, certains sont en train d’encenser Nicolas Duvalier, petit fils de Papa Doc et fils de Baby Doc, depuis son interview accordée à «La voix de l’Amérique». Que cela nous serve de prétexte pour parler de duvaliérisme.
L’interview de Nicolas Duvalier accordée à «La voix de l’Amérique» le 21 juin dernier dans laquelle il n’écarte pas la possibilité de se porter candidat aux prochaines élections présidentielles du pays ne cesse de susciter le débat. Après le passage catastrophique de ses grand-père et père au pouvoir, Nicolas Duvalier, qui n’a jamais raté une occasion de faire l’apologie de son père, compte lui aussi goûter aux délices du pouvoir. Quelle audace ! Son grand-père-Papa Doc, à lui seul, a occasionné près de 50 000 assassinats pendant ses 14 ans passés au pouvoir.
Si après la chute de Baby Doc en février 1986 le travail de mémoire n’a pas été suffisant, il est important et urgent aujourd’hui de mettre des projecteurs sur le duvaliérisme afin que nul n’en ignore. Celui qui ne connaît pas bien son passé est condamné à le revivre, dit-on. Cependant, on ne peut se permettre de parler de duvaliérisme sans définir préalablement ce concept. En fait, le duvaliérisme désigne le régime mis en place en Haïti par le dictateur François Duvalier dit « Papa Doc », devenu président en 1957, et poursuivi par son fils Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc » entre 1971 et 1986. Il se caractérise par « une politique répressive, l’interdiction des partis d’opposition, le règne de l’arbitraire et un autoritarisme qui s’appuie sur une partie de l’armée et une milice paramilitaire, les Tontons Macoutes ».
Tout a commencé en septembre 1957 quand Papa Doc est devenu le 40ème président de la première République Noire indépendante du monde. Voulant consolider le pouvoir, en novembre 1962, il promulgue un décret créant ainsi les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) plus communément appelés Tontons Macoutes. Ces hommes de main du régime ne savaient pas nécessairement lire ni écrire. Ils étaient spécialisés dans l’exécution d’opposants réels ou supposés et allaient terroriser la population pendant toute la période de la dictature. Ils s’étaient munis de machettes et de fusils. Personne n’a jamais su combien étaient ces sbires du régime sanguinaire. Le 26 avril 1963, sous l’ordre de Papa Doc, les Tontons Macoutes ont assassiné 73 personnes dans la région de la capitale haïtienne, selon une liste non exhaustive. Ce massacre a visé des dizaines d’opposants présumés à la dictature et leur famille, en majorité des militaires. Sous le régime duvaliériste, une simple accusation injustifiée pourrait vous coûter la vie. Il suffisait tout simplement qu’un Tonton Macoute en soit au courant.
En juin 1964, pour étancher sa soif de pouvoir, Papa Doc amenda la constitution afin de se proclamer «président à vie». Au mois d’août de la même année, une tuerie a eu lieu à Jérémie. Connue sous le nom de «massacre des Vêpres jérémiennes», c’est un événement où, sous la direction de l’officier William Regala, les lieutenants Abel Jérôme et Sony Borges et les Volontaires de la sécurité Nationale-Tontons Macoutes- Sanette Balmir et St. Ange Bontemps, des soldats de l’armée haïtienne tuent 27 personnes dont des hommes et des femmes y compris des enfants. Nous pouvons citer Stéphane Sansericq, un enfant de 4 ans, torturé avant d’être tué devant sa mère. Les Tontons Macoutes Sony Borges et Gérard Brunache ont, tout aussi, profité de la situation pour éteindre leurs cigarettes dans les yeux d’autres enfants en pleurs.
Au mois de janvier 1971, une nouvelle constitution confère le droit au président de désigner son successeur, qui exercera également ses fonctions «à vie». En avril 1969 on avait assisté à l’adoption d’une Loi «anticommuniste» qui érige «toutes les activités communistes» en infraction pénale. Ce qui a donné libre cours aux sbires du régime duvaliériste de massacrer des gens à tendances communistes. Une trentaine de jeunes, membres du parti communiste haïtien, détenus à Fort-Dimanche, ont été exécutés sur une esplanade adjacente à la prison. Au cours de l’année 1969, les Tontons Macoutes ont assassiné plusieurs centaines de personnes au Cap-Haïtien et à Port-au-Prince pour leur attachement à l’idéologie communiste. La chasse aux communistes a suivi son petit bonhomme de chemin sous le gouvernement de Baby Doc. Nous pouvons citer Rock Charles Derose alias Jérôme Jean, membre du Parti Unifié des Communistes Haïtiens-PUCH, qui a été arrêté le 12 novembre 1981, incarcéré, torturé puis emmené vers une destination inconnue, selon ce qu’a raconté des témoins. Jusqu’à présent personne ne sait ce qu’est devenu le mécanicien de 41 ans, probablement assassiné par les Tontons Macoutes. Avril 1971 soit 3 mois après avoir amendé la constitution pour se proclamer «président à vie», Papa Doc est mort et succédé par son fils Baby Doc qui n’avait que 19 ans à l’époque.
Il y a eu d’autres massacres sous le gouvernement de Papa Doc comme «Massacre des paysans de Thiotte», «Massacre de Cazale» et d’autres tueries sans nom… sans compter des prisonniers disparus, exécutés, morts de diarrhée et de tuberculose à Fort Dimanche et dans d’autres prisons du pays. Sans oublier Marcel Numa et Louis Drouin Jr, deux membres de «Jeune Haïti», fusillés publiquement un matin de novembre 1964 devant le mur du cimetière de Port-au-Prince. Une scène qui a été retransmise en direct sur la radio officielle «Voix de la République» et en boucle sur la «Télévision Nationale d’Haïti».
Le régime de Baby Doc, moins brutal que celui de son père, a toutefois marché sur les pas de la terreur. En septembre 1977, huit prisonniers politiques ont été retirés de leurs cellules à Fort-Dimanche et fusillés au Morne Christophe, à Port-au-Prince. Au mois de janvier 1986, une centaine de personnes a été tuée à Léogane lors d’une manifestation de paysans qui célébraient prématurément l’exil de Baby Doc. Cette tuerie a été perpétrée par des soldats sous la direction du colonel Samuel Jérémie.
Le régime de Baby Doc est aussi connu pour avoir vidé les trésors publics pendant que le peuple pataugeait dans la misère la plus abjecte. Durant la période de 1983 à février 1986, plus de 86 millions $ US ont été transférés à l’étranger. Détournement de fonds publics retracé et documenté par la Banque de la République d’Haïti (15 janvier 1987). D’ailleurs même après sa mort Baby Doc avait une somme de 8 millions de dollars américains dans une banque suisse. Sans oublier sa complice Michèle Benett dont le mariage avec Jean-Claude est estimé de 2 à 3 millions de dollars américains alors que les habitants gagnaient moins de 80 dollars par an. Il y a eu un nombre incalculable d’autres dérives que nous n’aurons pas le temps d’analyser ici.
Contrairement à ce que certains veulent faire croire, Haïti a toujours été extrêmement pauvre sous le régime des duvalier. Sur le plan économique le pays était délabré, selon les études faites à l’époque. En mai 1984, il y a eu une émeute de la faim au Cap-Haïtien. Les habitants, dans une révolte ponctuelle et spontanée, ont tenté de piller un dépôt de vivres d’un organisme humanitaire, l’armée a tiré dans la foule qui s’est retirée laissant trois morts sur le terrain. Alors que Baby Doc prenait son malin plaisir à jeter des billets de banque par terre depuis sa limousine blindée… La corruption et l’incompétence étaient à leur niveau le plus élevé sous le régime duvaliériste version 2. Il y avait toujours la crasse, la misère, l’insalubrité dans le pays. Seule l’insécurité instaurée par le régime en place à l’époque allait bon train. Détournements de fonds publics, violations des droits civils et politiques des citoyens, répression, crimes contre l’humanité, viols, vols, telles ont été les principales caractéristiques du régime duvaliériste. Le nombre exact de victimes du régime sanguinaire demeure jusqu’à présent inconnu.
Joubert Joseph