Si l’ironie du gouvernement d’un Premier Ministre n’ayant payé ses impôts qu’après sa nomination prompt à imposer de nouvelles taxes à ses administrés n’est perdue pour personne, il est évident qu’aucun État ne peut fonctionner si ses citoyens se refusent à payer leurs impôts. Or, en Haïti, ne pas payer ceux-ci est un sport national.
La majorité de nos entreprises – pour ne pas dire toutes – maintiennent deux livres de comptes: le vrai et celui de la DGI (Direction Générale des Impôts). Les banques le savent. Avant de vous faire un prêt, votre agent de crédit vous demandera, en toute confidentialité, de lui laisser voir vos vrais livres. Entre gens du monde, on se comprend. Après, on s’étonnera qu’Haïti soit en excellente position dans le palmarès du blanchiment d’argent.
Nos institutions financières ne sont pas regardantes. Vous leur apportez l’argent, ils vous le déposent. Sans (trop) poser de questions. Moyennant une petite commission. Juste de quoi leur permettre de se vanter de leur grande année dans leurs rapports annuels. Elles qui ne prennent guère de risques, n’utilisent que 39% des dépôts comme crédit dans l’économie et exigent des collatéraux pratiquement insurmontables pour qui n’est déjà riches. On ne joue pas avec l’argent de Shango. Dans ce pays « essentiellement agricole » où 25% du PIB vient de l’agriculture, caravane du changement ou pas, le secteur est traité en partant pauvre. Les jeunes, même avec des idées innovantes, finissent par s’exiler au Chili. Les crédits restent concentrés – jusqu’à 80% – dans les mains d’un petit groupe d’entrepreneurs qui se connaissent et travaillent à maintenir leur monopole, en trafiquant leurs livres, en payant peu d’impôts et en s’achetant des politiciens.
Dans cet imbroglio, il peut sembler logique de se dire qu’il n’y a rien à faire et de se laisser aller en tant que citoyen. En se trouvant des racketeurs pour un passeport, une vignette, un permis de conduire, ou même une prise d’eau, une prise d’électricité, une brasse par ci, une brasse par là. Ce peut-être tentant mais ce n’est pas la bonne attitude. Un bon citoyen sait que ses droits découlent de ses devoirs. Qui aime son pays paye ses taxes.
Un État ne produit rien. Contrairement à ce qu’on s’évertue à nous faire croire depuis quelque temps, un État n’est pas une entreprise. Ce n’est pas un business à confier à des entrepreneurs. La mission première de l’État est de nous protéger, d’offrir des services de base à sa population, de gérer le bien public. Pour cela, il lui faut de l’argent. Cet argent ne doit pas, contrairement à une autre habitude qui s’est installée chez nous, venir de l’aide internationale. Un État souverain dispose de son propre argent. Et cet argent lui vient des taxes.
Avec nos impôts, comme le veut la formule consacrée, nous achetons la civilisation. Les taxes payent pour les services essentiels: routes, écoles, santé, sécurité… Elle servent à faciliter la mobilité sociale et réduire, conséquemment, les inégalités. Nos taxes payent pour que nos rues soient propres et éclairées, pour que nos services d’inspection s’assurent que la viande que nous achetons, les médicaments que nous consommons, l’essence que nous mettons dans nos voitures respectent les standards minimums.
Nous savons tous, intellectuellement, que les impôts sont indispensables. Le débat à avoir n’est donc pas autour du fait de payer ou non des taxes mais de leur utilisation et de la justesse (la justice ?) de leur imposition. Il y a un débat à avoir sur les impôts en Haïti mais il doit d’abord commencer par être adulte et franc, au-delà de toute hypocrisie. Et pour l’instant, aucun de nous n’est très adulte sur cette question.