Le 9 novembre 1925, six compagnies pharmaceutiques allemandes – dont BASF, Bayer et Hoechst (aujourd’hui, Sanofi) – fusionnèrent pour donner naissance à la plus grande compagnie pharmaceutique au monde. La nouvelle compagnie changera à jamais la recherche médicale grâce à des innovations majeures : découverte de l’antibiotique, découverte de la polyaddition pour la synthèse du polyuréthane, développement du caoutchouc synthétique … Cette dernière innovation a d’ailleurs détruit effectivement tout semblant de pertinence d’Haïti dans la seconde guerre mondiale. La société haïtiano-américaine de développement agricole (Shada), établie en 1941 pour approvisionner le gouvernement américain en caoutchouc, fermera 4 ans plus tard avec un déficit de 6,8 millions de dollars sans avoir pu, au final, participer à l’effort de guerre. Cette aventure nous coûta pourtant une concession de 60 000 hectares de terres agricoles, 130 000 hectares de territoire dans le nord et le nord-est et un million d’arbre fruitiers dans la Grande-Anse. Rien qu’en 1943, ce sont 30 000 familles qui se verront expulsées de leurs terres pour se faire remplacer par de l’hévéa et du cryptostegia … pour rien. L’on comprend qu’Haïti et l’Allemagne soient restées en guerre si longtemps. Certes, on nous avait oubliés quand il fallut signer l’armistice, mais ce caoutchouc synthétique nous avait trop coûté, notre seule et première entrée dans le business de la guerre et la I.G. Farbenindustrie Aktiengesellschaft nous l’avait faite rater.
Depuis l’annonce de l’ « affreux » mariage entre les compagnies Monsanto et Bayer, l’ancienne compagnie allemande démantelée après Nuremberg est revenue dans les nouvelles. A l’ordre du jour, le passé nazi d’IG Farben dont le pesticide Zyklon B a été utilisé dans les chambres à gaz pour éliminer « la peste juive ». Ce passé est présenté parallèlement à celui de Monsanto, fabriquant de l’agent orange, puissant défoliant expérimenté pendant la Guerre du Vietnam, pour mettre en garde contre ces deux monstres qui ne peuvent nous vouloir du bien. L’industrie agro-chimique nous rendant malade par les OGMs et nous soignant avec leurs médicaments, véritable couteau de pharmacie coupant le remède et le poison, la formule est puissante et fait recette. Elle semble être la preuve de ce que nous croyons savoir depuis toujours … ON NOUS MENT.
La vérité n’est toutefois pas celle que nous croyons. Elle est plus dangereuse, plus insidieuse, plus pernicieuse. NOUS NOUS SOMMES FAITS AVOIR. En 1848, à Bruxelles, un certain Karl Marx rappelait que le libre-échange est un leurre, le capitalisme ayant des tendances monopolistiques. Avec la fusion Bayer-Monsanto, une entreprise de plus domine son secteur de A à Z, rendant toute surveillance (étatique) difficile et, acquérant par là même, une puissance internationale rappelant celle de lobbies similaires comme celui des armes ou du pétrole. C’est Susan Strange et son retrait de l’État validés. C’est la montée en puissance des acteurs économiques privés consacrant la perte de pouvoir des États face au marché. Les compagnies agrochimiques Dow Chemical et DuPont aux États-Unis, Syngenta et China Chemical Corp. en Chine, sont aussi en instance de fusion. Le 20 septembre 2016, elles étaient devant le Congrès américain pour défendre la création de ce qui sera, dans les faits, un oligopole à trois têtes contrôlant effectivement l’agriculture mondiale.
A première vue, cela peut faire peur – qui contrôle nos ventres, contrôle nos vies – mais il est au moins deux raisons de ne pas paniquer.
La première est que ces consolidations interviennent à un moment où la croissance de l’industrie agro-chimique est en chute libre:

La demande pour la culture organique et la nourriture naturelle augmentant dans les pays riches, avec les ventes de produits congelés chutant même aux États-Unis, les grandes entreprises de l’agro-chimie semblent se regouper plus pour survivre que pour devenir plus puissants.

Nous pouvons donc, il appert, durablement influencer le commerce mondial par nos choix. Le site Ethical Consumer maintient une liste de compagnies dont les pratiques sont indexées par des consommateurs. Elle informe ma liste – de plus en plus longue – de compagnies dont je n’achète pas les produits. Certes, ce peut être inconvénient au début, mais les compagnies ont besoin que nous achetions leurs produits pour continuer à exister et, si personne n’achète, même les fusions de plus en plus importantes n’y changeront rien.
La seconde raison d’espérer procède de l’appui ironique de Marx au libre-échange comme accélérateur de la concentration des richesses – les oligopoles se transformeront immanquablement en monopole – devant conduire inévitablement à la révolution. Déjà, Marx envisageait la venue d’une entreprise capitaliste mondiale hyperpuissante – penser Buy N Large dans Wall-E ou RDA dans Avatar – qui serait plus aisément contrôlable par la société, la révolution venue. Avec le creusement des inégalités, la revanche de la société civile et la multiplication des solidarités transnationales, si le boycott en règle ne fonctionne pas … il y aura toujours la révolution.