Pour P qui voulait savoir « de quoi au juste parlait Le Nouvelliste avec ce tweet » ..
J’ai mis un peu de temps à répondre — parce que notre bouche à tous, même celle dont j’ai la loi, est fendue. Et écrire pour un blogue sans pub et en copyleft ne nourrit pas sa femme. Mais voilà, ce lundi, j’ai un peu de temps. Alors parlons un peu du contenu de cet article du Nouvelliste qui, d’après le journal lui-même, semble avoir dérangé.
[Entre parenthèses, P. : trois jours, c’est peu pour répondre à une demande. Un peu de patience pour une pauvre blogueuse qui croule sous les obligations, qui lance dans une semaine l’un de ses projets les plus chers, et qui doit, parfois, prendre le temps de vivre. D’autant qu’un jour plus tôt, elle venait tout juste de traiter le même sujet à l’échelle mondiale.]
La parenthèse fermée, plongeons donc dans le monde insidieux de la captation financière locale.
Peu après le séisme de 2010, alors que l’assistance internationale ne s’était pas encore révélée mortelle, Haïti a bénéficié — pour la première et dernière fois — d’une analyse HHI (Herfindahl-Hirschman Index) de son marché. Basée sur les données douanières de 2011–2012, cette analyse a confirmé ce que tout le monde savait déjà : quelques familles haïtiennes, généralement mulâtres, contrôlent le commerce national.
Le diagnostic, Haiti—Let’s Talk Competition, publié en 2016 par la Banque mondiale, visait à accompagner, guider, voire orienter la reconstruction économique et la réforme institutionnelle. Une décennie plus tard, dans un pays encore plus profondément en crise, une évaluation rapide menée par la même institution observe que les tendances n’ont pas changé : la gouvernance économique reste faible, et les intérêts acquis renforcent la domination des élites, empêchant toute réforme ou diversification des marchés.
La Banque mondiale n’est pas la seule à faire ce constat. Ce rapport du Council on Foreign Relations souligne qu’Haïti reste l’une des économies les plus inégalitaires de l’hémisphère occidental, avec une richesse concentrée entre les mains d’une petite élite, tandis que la majorité de la population vit dans la pauvreté. Le rapport mondial 2024 de Human Rights Watch rappelle que l’insécurité et la corruption sont omniprésentes, et que de nombreux gangs armés seraient liés aux élites politiques et économiques. En conséquence, le pouvoir des élites continue de s’exercer, à la fois sur l’économie et sur la gouvernance. Des élites qui lorsqu’elles ne sont pas occupées à se faire sanctionner par le Canada, les États-Unis, voire la République dominicaine, vont se plaindre à des journalistes étrangers du fait que que les gangs, aujourd’hui, ne respectent plus les règles du jeu des affaires.
La triste réalité est que, depuis 2018, la crise politique et le déclin économique se sont entendus pour aggraver les inégalités et renforcer l’enracinement du pouvoir dans les mêmes cercles restreints, lesquels monopolisent l’accès aux institutions pour échapper à toute responsabilité. L’absence de transparence et de concurrence, qui a toujours été un frein au développement économique, s’est aggravée. Les mêmes familles enracinées détiennent toujours des positions dominantes dans les secteurs clés : import-export, finance, télécommunications. Dans le rapport de 2016 de la Banque mondiale sur la compétitivité, un seul groupe concentrait jusqu’à 60 % des opérations dans certains marchés d’importation, dont 51 % rien que dans le secteur des téléphones portables.
Le 1 % le plus riche des Haïtiens possèderait environ la moitié de la richesse nationale. Les élites à la peau claire et mulâtres (environ 5 % de la population) contrôlent à elles seules 44 % du revenu national. L’entrée Structural Violence in Haiti dans le Wikipedia anglais offre une bonne synthèse de ces chiffres. Mais pour la version sizebite, il y a toujours ce fameux billet sur #aytipamnandiferan. Toutefois, si le secteur formel est verrouillé par une poignée d’initiés, le secteur informel, lui, absorbe environ 90 % de l’emploi national. Comme rappelé précédemment, le secteur privé haïtien est constitué à 93 % de microentreprises.
Et maintenant que les Frankenstein fuient leurs monstres — s’installant en Floride ou ailleurs dans l’attente (ou non) d’une déprtation par trop publique, peut-être y a-t-il là une opportunité de s’assurer que ceux qui ont fui ne continuent pas à exercer le contrôle à distance. Une chance, enfin, de mettre un terme à la concentration — jusqu’ici intacte — des entreprises, des licences d’importation et des structures économiques dans des holdings familiaux soigneusement verrouillés.





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