Dans un moment de désarroi national, une figure émerge du marasme ambiant, portée au pouvoir par des promesses de stabilité et de redressement… de la démocratie. Trop lente, trop inefficace pour répondre aux urgences – communisme, terrorisme, ennemi intérieur – celle-ci est « remodelée » par ceux qui en exploitent les failles. Puis, immanquablement, le peuple déchante. La solution devient problème. Non seulement parce que le messie ne viendra pas, mais parce que croire en son existence est profondément nocif pour une société. Fragile par essence, la démocratie s’effondre d’autant plus vite entre les mains de ceux qui y concentrent tous les pouvoirs.
Élu en 2022, Yoon Suk Yeol s’est présenté comme un conservateur pro-business inflexible, opposé au Nord et résolu à restaurer l’intégrité nationale. Ce mardi, après des scandales et face à un parlement hostile, il a proclamé la loi martiale, affirmant que « à travers la loi martiale, [il] reconstruirai[t] un pays libre et démocratique. » Une heure plus tard, le Parlement sud-coréen, majoritairement opposé à Yoon, a voté contre (190 membres présents sur 190, aucun vote en faveur), forçant la levée immédiate de cette mesure selon la Constitution.
Bien qu’éphémère, cet épisode souligne le danger de porter au pouvoir des figures autoritaires sous prétexte de combattre les maux de la société. Yoon (Corée, 2024), défenseur autoproclamé des valeurs, suit un chemin similaire à celui de Fujimori (Pérou, 1992), qui dissolvait le Parlement dans un « autogolpe », ou de Marcos (Philippines, 1972), qui proclamait la loi martiale avant d’instaurer un régime autoritaire. Mais, contrairement à eux, Yoon n’a pas bénéficié d’institutions faibles.
C’est là le paradoxe cruel des démocraties : ces leaders autoritaires émergent grâce aux outils mêmes de la démocratie, exploitant failles institutionnelles et mécontentement populaire. Marcos a maintenu les Philippines sous loi martiale pendant 14 ans, emprisonnant des milliers d’opposants, censurant les médias et pillant les ressources du pays. Fujimori, élu en 1990 pour sortir le Pérou du chaos, dissolvait le Congrès deux ans plus tard, imposant un régime autoritaire sous couvert d’efficacité. Ces deux dirigeants, tout en promettant de sauver leurs nations, ont laissé des institutions exsangues et des peuples trahis.
Fujimori, Marcos et Yoon ne sont pas des anomalies. Il existe une tendance mondiale favorisant l’émergence de conservateurs hostiles à la démocratie. Benjamin Netanyahu, en Israël, qui préfère encourir une inculpation pour crimes de guerre à Gaza plutôt que d’affronter la justice de son pays, où il est accusé de corruption. Ou encore Donald Trump, aux États-Unis, déjà condamné pour fraude, qui revient au pouvoir pour assouvir une vengeance personnelle contre ses opposants.
C’est le principe de l’anacyclose : chaque régime porte en lui les germes de sa dégénérescence, enfermés dans un cycle allant de la tyrannie à la démocratie. Aristote, puis Kant après lui, voyaient dans la République une solution : une démocratie républicaine protège les droits de tous, y compris des minorités, et favorise l’intérêt commun. Mais dans un monde dominé par le capitalisme et l’individualisme, la République semble condamnée. Face à la peur, aux inégalités croissantes et aux crises climatiques, les peuples, distraits par des boucs émissaires, élisent des « sauveurs » qui accélèrent la destruction des systèmes démocratiques.
Les démocraties contemporaines, affaiblies par un capitalisme hyper-individualiste, ne protègent plus les droits de tous. Elles servent plutôt ceux qui accumulent des fortunes indécentes – des « hoarders » échappant à toute responsabilité. Ces inégalités extrêmes offrent un terreau fertile à l’émergence de leaders populistes, qui exploitent les peurs collectives tout en servant les intérêts des élites économiques. Pendant que les peuples s’affrontent autour de faux ennemis, les milliardaires financent campagnes populistes et régimes autoritaires pour préserver un ordre qui est leur.
L’anacyclose, amplifiée par le capitalisme, enferme les sociétés dans un cycle vicieux. Fujimori, Marcos, Yoon, Netanyahu ou Trump ne sont que les symptômes d’un système qui favorise l’accumulation au détriment de la justice sociale. Briser ce cycle exige des institutions résilientes et une réinvention des priorités collectives. Sans cela, le désarroi persistera, et les peuples continueront de voter pour ceux qui précipitent leur propre ruine.





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