Le 29 septembre 2021, Ariel Henry annonça l’intention de son gouvernement de poursuivre les travaux du canal d’irrigation, qui avaient été arrêtés début août, et qui consistaient à capter l’eau de la Rivière Massacre. Le 29 mai précédent, le président haïtien avait réussi à trouver un accord avec son homologue dominicain et avait signé un protocole établissant « le droit des deux nations à utiliser les eaux des rivières se trouvant dans la zone frontalière de manière juste et équitable ». À l’époque, Rezo Nodwès, média virulemment opposé à l’administration Moïse, avait accusé celle-ci de favoriser les sponsors du régime aux dépens des intérêts locaux:
Le dictateur en herbe Jovenel Moise, entêté et déterminé à construire un canal d’irrigation par la déviation des eaux de la rivière Massacre, au profit des sponsors du régime PHTK, selon les dénonciations d’entrepreneurs agricoles dominicains, a hypothéqué l’avenir du barrage de Péligre et les rizières de l’Artibonite qui pourraient connaître à l’avenir des périodes de sécheresse si le président Luis Abinader venait à construire un barrage sur l’Artibonite, en amont du fleuve.
Déviation des eaux du Massacre. Jovenel Moise obtient gain de cause et quant aux dominicains, ils sont libres de disposer du fleuve Artibonite dans le futur, Rezo Nodwès
C’était l’époque où l’on s’efforçait de nous convaincre que Jovenel Moïse, qui ne contrôlait déjà plus grand chose, était un dictateur tout puissant, un usurpateur de trône, le leader suprême des gangs. Puis, au cours de la nuit du 6 au 7 juillet, le président est assassiné chez lui, sans résistance aucune, ni de sa garde, ni de la police, ni même de leurs chiens. Trois ans plus tard, le magnicide toujours non résolu, nous nous retrouvons, après un détour via un premier ministre sans président, avec un conseil présidentiel de 7 membres – les observateurs ne comptent pas – se cherchant un premier ministre.
C’est le moment qu’a choisi le président dominicain Luis Abinader, actuellement en campagne pour sa réélection, pour faire ce qu’il fait le mieux: blâmer Haïti pour tous les maux de la République Dominicaine. Sa bizarre décision de fermer la frontière suite à la reprise de la construction du canal par des paysans haïtiens lui aurait été dictée par Ariel Henry, croix de bois, croix de fer, il ment, il ira en enfer. Ariel Henry, en exil allongé, fraîchement démissionné dans l’attente d’un nouveau premier ministre qui ne sera peut-être pas si nouveau après tout. Ariel Henry qui doit travailler plus qu’il ne l’a jamais fait auparavant tant son silence est complet et total.
Apparemment, vous vous demandez s’il est nécessaire d’accorder un quelconque crédit à cette « nouvelle » sans réel intérêt. La réponse est non. Même si, pour cause de bluffeurisme agravé, l’on met de côté le fait que le gouvernement du Dr Henry s’est prononcé en faveur de la construction du canal, allant même jusqu’à offrir le soutien de cadres de deux ministères, il n’y a aucune raison de croire qu’il ait jamais fait une telle demande à Abinader, mais, surtout qu’il l’ait fait ou pas n’aurait aucune espèce d’importance. L’État dominicain n’a pas l’habitude d’écouter l’État haïtien, et compte tenu de l’ampleur du déficit commercial du côté haïtien, une fermeture des frontières ne pourrait être dommageable que pour la République Dominicaine.
En 20 ans, de 2002 à 2022, nos importations en provenance de la République dominicaine sont passées de 208 millions de dollars américains à 1.02 milliard de dollars. En 2022, Haïti a exporté, en tout et pour tout, 11.9 millions de dollars de produits et services vers la République Dominicaine, soit un ratio de 7/600. Un ratio qui a longtemps laissé le stade du négligeable pour tomber dans celui de l’incidental. Il n’existe aucun monde – autre que celui de l’antihaitianisme primaire de l’extrême-droite dominicaine – où une fermeture de la frontière serait au désavantage des Haïtiens. Si Ariel Henry l’avait vraiment non seulement suggéré mais réussi à convaincre Luis Abinader de le faire effectivement, il aurait été le génie que la culture populaire américaine, avant l’ère de Ben Carson, avait tendance à associer aux neurochirurgiens. Or, Henry n’est pas un génie. Même pas du mal.
Abinader a donc dit n’importe quoi. Comme à son habitude. L’histoire lui ayant valu des critiques acerbes et non des moindres dont l’ancien président et actuel candidat Leonel Fernandes, il est passé à autre chose. D’ailleurs, ce matin, El Acento a corrigé son reportage: Ariel Henry n’aurait pas demandé de fermer la frontière mais l’aurait tout simplement accepté. Parce que, comme on le sait en relations internationales, lorsqu’on ferme ses frontières, il faut l’accord de l’autre pays avec qui l’on rompt ainsi le contact. C’est dans l’article bien connu de la Convention de Vienne de 1961 que l’on a oublié d’écrire.





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