Naïf ou menteur?

Il y a quelques temps, après avoir rencontré notre Président pour la deuxième fois – et surtout lui avoir parlé – je disais à ma mère que je ne savais trop si Jovenel Moïse était naïf ou menteur. Il semblait croire sa parole magique. Il semblait croire qu’il lui suffisait de dire pour que ce soit. Ma mère, qui a, elle aussi, rencontré le Président, me répondit tout simplement : tu n’as pas besoin de choisir : il est naïf et menteur. C’est un hâbleur, un diòleur, si préoccupé de donner une haute idée de sa personne qu’il a fini par y croire.

Ma mère, comme vous le savez sans doute déjà si vous lisez ce blogue, a toujours raison. Cette femme a une extraordinaire capacité à aller directement au cœur des choses. Elle dit souvent qu’elle a comme une intuition des choses, une voix qui ne trompe pas. Elle le dit en plaisantant à demi mais elle n’a pas tort. Le président Moïse est naïf parce qu’il croit en ce qu’il dit et menteur parce qu’il fait des promesses qu’il sait ne pouvoir tenir.

Au commencement était la Parole de Moïse. Pas celui qui fut sauvé des eaux ou l’enfant de Dessalines, mais le prince qu’un roi-bouffon nous a choisi. Elle était d’abord une parole de campagne, une parole bucolique faite de terre, de soleil et d’eau. Et des bras. Les bras des hommes et des femmes qui allaient faire revivre un pays qui, pour avoir décollé, n’en restait pas moins enfoui cinq pieds sous terre. C’était une parole de changement faite de souveraineté alimentaire, d’électricité 24/24 et de routes, tellement de routes.

Je ne sais si nous y crûmes mais la banane avait le vent en poupe. Nous la prendrons à toutes les sauces, sous toutes les formes, criaient certains. Frite ou bouillie, papita et labouyi. Le message était si percutant que les concurrents se sont alignés dessus – la meilleure façon, soit dit en passant, de perdre une élection. En plus du nègre banane, nous avions la femme hibiscus, l’homme pont et tout un défilé de personnages de contes merveilleux.

Après les élections, la campagne continua de plus belle. Même les funérailles de certain ancien président n’en furent pas épargnées. Le Président Moïse, incapable de rester dans le script, bluffa, esbroufa, fabula. Devant la famille éplorée et les amis nombreux, il trouva le moyen de tout ramener à lui. Un de ses soutiens, et actuel secrétaire général du conseil des ministres, comprit très vite à quel point un tel spectacle était vil et s’empressa de publier le discours préparé pour la circonstance, sans les ajouts mal venus du Président. C’était peine perdue toutefois. De telles sorties sont dans la nature d’un président qui, à défaut de faire, ne veut faire défaut. Aussi s’insère-t-il dans tout. Au point de se croire indispensable. Condition nécessaire et suffisante. Moi seul peux.

Et Moïse dit que la lumière soit ! La lumière ne fut pas mais dans son bilan, si. Dans le bilan du Président, Haïti est « sur la voie du changement et du développement, [grâce à un président qui a su] redonner l’espoir aux citoyens et replacer le pays sur la carte des investissements« . Comment le sait-on ? Parce qu’il le dit. Il en veut pour preuve une liste d’initiatives, de centres, de programmes et autres actions de la première importance par lui actées. Les résultats ici importent peu. Le Président a l’intention d’être en campagne pendant la totalité de son quinquennat. Donald Trump a Twitter et ses rallys, Jovenel Moïse a son émission de télé et sa caravane. Ils ne font pas que mentir, ils créent leur réalité. Différente de la vraie mais la vérité n’a plus aucune importance. À chacun ses faits. À chacun sa réalité. À chacun son Haïti.

Le Président Moïse n’est pas seul dans son délire. Les directeurs d’opinion importants, les doers, les positiveurs … sont de plus en plus persuadés qu’il leur suffit de dire qu’Haiti décolle pour que ce soit vrai. Qu’il suffit de se proclamer leader pour que l’on nous suive. Qu’il suffit de se déclarer inventeur, de s’inventer auteur, de se projeter prometteur … pour que ce soit le cas. Aussi pourquoi s’inquiéter de Médecins Sans Frontières qui s’en va, du déficit budgétaire qui se creuse ou du rapport Petrocaribe qu’on s’efforce d’enterrer? Il est certain batteur de femme qui a écrit « un beau texte » et qui, grâce à la mobilisation des doers a eu un char pour le Carnaval. Tout va bien.