Dans l’édition du 15 novembre 2024 du Nouvelliste, nous apprenions que pour le mois d’octobre 2024, 50 000 Haïtiens ont été rapatriés par la République Dominicaine; des chiffres bien au-delà de l’objectif de 10000 Haïtiens par semaine que s’était fixé le Président Abinader. Les données officielles de la Direction Générale des Migrations (DGM) rapportées par Gazette Haïti fixent à 48 561 le nombre d’Haïtiens rapatriés jusqu’ici. Le gouvernement dominicain s’est ainsi montré d’une efficacité hors pair, que la chancelière dominicaine, Faride Raful, s’était empressée de défendre il y a deux semaines en réponse à des propos de son homologue haïtienne minimisant l’ampleur des déportations. Lors du « forum citoyen » tenu par le gouvernement Conille le 2 novembre 2024, Madame Dominique Dupuy avait laissé entendre une diminution des déportations grâce à ses démarches et à celles du gouvernement auprès d’alliés internationaux. Dénonçant une ingérence dans les affaires intérieures de son pays, Mme Raful a réaffirmé la souveraineté de l’État dominicain à déporter en masse toute personne suspectée d’haïtianité.
Cela aurait pu s’arrêter là et n’être qu’un mensonge de plus d’un feu gouvernement Conille, davantage préoccupé par la production de contenu pour les réseaux sociaux que par la résolution des problèmes qui lui ont valu de nous être imposé. Mais, le lendemain de l’article du Nouvelliste, Mme Dupuy a prononcé un discours d’adieu lors de l’investiture du nouveau Chancelier et ancien chef de cabinet du Conseil Présidentiel de Transition à qui nous devons certaine lettre particulièrement efficace. Ce discours, comme il est de coutume, vous a tellement touchés que vous n’avez cessé de me l’envoyer, la présentant comme celui d’une femme voulant changer les choses, malheureusement évincée par un système rétrograde et un CPT que vous accusez d’être acquis à la cause dominicaine, au point de se débarrasser d’une chancelière qui nous défendait. Vous estimez qu’elle mérite le soutien des patriotes – parmi lesquels vous me faites l’honneur de me compter, ce dont je vous remercie.
Toutefois, permettez-moi de ne pas partager votre appréciation du passage de Mme Dupuy au gouvernement, même si je reconnais volontiers qu’elle est la seule, parmi ces messieurs et dames, à ne pas susciter le fremdscham habituel lié à notre représentation souvent pathétique à l’étranger. Mme Dupuy possède du verbe – parfois desservi par une prose un peu trop ampoulée – de l’entregent, une qualité essentielle pour une diplomate, et de la prestance, comme on aime à dire chez nous. Lorsqu’elle intervenait dans les médias internationaux, je n’avais pas à retenir mon souffle. Mais là s’arrête ma complaisance.
Dans sa vidéo d’adieu publiée sur son compte X (anciennement Twitter), Mme Dupuy se met en scème commen sortant la tête haute après avoir mené un combat ardu pour maintenir contre des Goliaths voulant piétiner notre dignité que les droits fondamentaux des Haïtiens doivent être respectés et pour rappeler qu’Haïti ne demande pas la charité, mais le juste retour sur une dette que le monde entier a envers le premier pays à universaliser les droits humains. Des paroles fortes, mais qui sonnent creux face à l’ampleur des déportations révélées et à l’échec manifeste des démarches de son gouvernement. Certes, sa phrase selon laquelle, « À l’appel de la Patrie, il n’y a ni bon moment, ni bon gouvernement, il faut répondre présent, » était, il faut le reconnaître, bien tournée. Mais cette justification de sa présence dans un gouvernement de facto illégal et illégitime au bilan abyssal, bien qu’intéressante, ne saurait être convaincante dans un contexte où la « Patrie » a été muselée par des hommes d’assaut prêts à tout pour maintenir leur pouvoir.
Le mensonge en politique est courant, mais comme nous l’avons vu à plusieurs reprises sur ce blog, il est éminemment dangereux pour le corps politique, le peuple et la démocratisation. Nous avons vu où nous a menés un « Seigneur de la Banane » sans bananes introduit par le PHTK à travers une campagne marketing pleine d’émotions, mettant en avant, avec l’appui des médias, influenceurs et autres suspects habituels, un paysan haïtien prêt à venir au secours des siens. Je ne tiens pas particulièrement à voir ce que cela donnera pour quelqu’un introduit via les mêmes artifices, les mêmes groupes et les mêmes personnes, en mettant en avant patriotisme et geste de 1804. Sous Jovenel Moïse, la terre, l’eau et le soleil, censés apporter bonheur et prospérité, se sont révélés être poussière : poussière d’un État en déliquescence institutionnelle, poussière d’un pays en ruines, poussière biblique à laquelle nous retournons plus vite que prévu par la grâce des gangs.
Mme Dupuy a sans doute tenu tête aux Dominicains. À tout le moins, je veux y croire. Tout.e Haïtien.ne normalement constitué.e ferait la même chose et Mme Dupuy me semble parfaitement bien constituée. Ce que je ne pardonne pas, toutefois, c’est de prétendre avoir obtenu des résultats positifs là où les faits racontent une autre histoire. Un tel écart entre la réalité et le discours, dans un contexte aussi grave, témoigne soit d’un déni flagrant, soit d’une volonté délibérée de tromper, ce qui est inacceptable pour quiconque aspire à incarner un changement authentique. Un discours d’autant plus irritant qu’il n’était pas nécessaire de forcer le trait.
Mme Dupuy est le seul nom notable à émerger du gouvernement Conille. Elle est déjà vue favorablement par celles et ceux qui verront cette vidéo d’adieu, avides de discours glorifiant les prouesses de nos aïeux. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’elle est entrée dans notre inconscient collectif : par des discours émotionnels lorsqu’elle représentait Haïti à l’UNESCO, où elle a fait inscrire notre soupe de l’indépendance au patrimoine immatériel mondial. En ce 18 novembre, jour de Vertières, dans un univers parallèle où le Dr Conille n’aurait pas été révoqué par le CPT, Mme Dupuy nous aurait sans doute servi un autre de ces magnifiques discours qui plaisent tant. Vilipender la République dominicaine et défendre verbalement les droits des Haïtiens à l’extérieur aurait suffi. Prétendre qu’il en ait été autrement est une erreur évitable.
Naturellement, je m’attends à ce que certains voient en ce billet une « résistance acharnée contre celles et ceux qui aspirent au changement » évoqué dans la chanson accompagnant la vidéo de Mme Dupuy. Rien n’est plus faux. Je suis engagée de façon permanente à promouvoir une plus grande présence des femmes en politique. Mais je crois que nous avons eu assez de bluffeurs dans ce pays. Je préfère que toute femme aspirant à diriger incarne ce changement en commençant par s’éloigner des bluffeurs de leur entourage, de peur qu’ils ne déteignent sur elles.





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