La police nationale d’Haïti, dans un élan de transparence ou peut-être d’imagination débordante, a récemment partagé une photo pour illustrer ses « succès » lors d’une opération à Savien, contre un des gangs les plus notoires de la région artibonitienne, celui-là même qui est responsable du massacre d’une centaine de compatriotes au début de ce mois. Sur cette image triomphale, nous voyons un fusil d’assaut et une « sapate » rose, des symboles devenus quasi officiels des criminels qui terrorisent le pays. Le fusil, bien entendu, incarne la violence armée qui rythme le quotidien haïtien, maison par maison, quartier par quartier, ville par ville. Quant à la « sapate », elle semble être l’uniforme non déclaré, mais essentiel, du bandi haïtien, une sorte d’identité visuelle de ces gangs qui contrôlent des pans entiers du territoire national.
Cela dit, il est un peu plus compliqué de se réjouir du « succès » de cette opération quand on découvre que cette photo, loin d’avoir été prise dans l’Artibonite, a été publiée, en novembre 2023, par The Washington Post pour illustrer la tragédie des tueries de masse aux États-Unis. Oui, vous avez bien lu. Notre vaillante PNH, peut-être trop pressée de communiquer sur ses exploits, a tout simplement emprunté une image datant de 2012 et provenant d’un autre pays, d’une autre réalité, pour se glorifier de ce qu’elle présente comme une bataille victorieuse contre les gangs.
Au-delà du grotesque de cette réutilisation inappropriée d’une photo, se pose la question de la crédibilité des autorités. Comment prendre au sérieux une institution qui emprunte des images du pays le plus armé du monde pour illustrer des événements locaux ? Cette « erreur » soulève un malaise profond et invite à s’interroger sur les pratiques de la police : si elle utilise des photos étrangères pour légitimer ses actions, que penser de la fiabilité de ses autres communications ?
Dans un climat où la confiance envers les autorités est déjà fragilisée, une telle maladresse creuse davantage le fossé entre les citoyens et ceux qui sont censés les protéger. Cette nouvelle maladresse renforce dangereusement la perception que la police est non seulement dépassée par les événements, mais qu’elle est prête à tout, y compris à manipuler la réalité, pour sauver la face.
Dans un contexte où les gangs mènent une offensive soutenue sur les réseaux sociaux pour se construire une image de résistance face à l’État, la police nationale leur offre involontairement du carburant. Ce faux pas va nourrir leur discours : les gangs pourront non seulement pointer du doigt l’incompétence, mais aussi accuser la police de tromper l’opinion publique. La PNH leur livre ainsi le matériel parfait sur un plateau.
Cette situation arrive à un moment critique. Les gangs, déjà très actifs sur les réseaux sociaux, redoublent d’efforts pour renforcer leur popularité tout en ridiculisant la police. La diffusion de cette image erronée devient une aubaine pour leur propagande, leur permettant de se moquer ouvertement des forces de l’ordre et de les accuser de malhonnêteté.
Par ailleurs, les récentes déclarations de l’ambassadeur américain, qui a admis une forme de collaboration avec les gangs pour assurer la sécurité de l’ambassade, ne font que renforcer cette perception. Les propos de Vitel’homme Innocent, chef du gang Kraze Baryè et recherché par le FBI, affirmant ses « bonnes relations » avec l’ambassade dans une interview accordée à CNN, trouvent ici un écho inquiétant.
Cette accumulation d’erreurs et de révélations fragilise davantage la position de la police et des autorités internationales dans leur longue lutte pour rétablir l’ordre. Dans cette guerre d’images, les gangs exploitent chaque faux pas de la PNH, qui s’enfonce dans une communication défaillante. Si elle ne parvient pas à restaurer la confiance du public, la police risque de perdre définitivement son seul véritable atout dans cette lutte contre des groupes armés de plus en plus maîtres de la propagande.
PS: Merci à @repost_haiti pour m’avoir signalé la supercherie et quasiment exigé un billet. J’espère que celui-ci lui convient.
PPS: Le 1er novembre 2024, nous avons appris via Radio Télé Galaxie que Berrick Estidore, responsable du Service de Presse et des Relations Publiques (SPRP) de la PNH, a été remplacé.





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