Comme on pouvait le prévoir, et comme de fait il a été prévu, le 7 février 2024 a été un mercredi, sans plus. La révolution annoncée par un ancien chef rebelle, condamné aux États-Unis d’Amérique pour blanchiment d’argent lié au trafic de drogue et récemment rapatrié chez nous, n’a pas eu lieu. La mobilisation annoncée par des politiciens qui ont été au pouvoir et à ses abords au cours des deux dernières décennies n’a pas pris. Les vœux fébriles de beaucoup d’entre nous espérant une solution magique à nos problèmes n’ont débouché sur rien. Comme c’est le cas depuis bientôt 5 ans, nous faisons du surplace.
La politique haïtienne est cyclique. Non pas parce qu’elle fonctionne par cycles, mais parce qu’elle tourne en rond. Celui qui gazait hier est gazé aujourd’hui par celui qu’il gazait hier, et qui le gaze aujourd’hui. Ce n’est pas que les choses aient changé – elles ont plutôt empiré – mais, un magnicide est passé par là, et les rôles se sont inversés. Avant, l’un était côté pouvoir, l’autre était côté rue et maintenant que l’autre est côté pouvoir, l’un a dû se réfugier côté rue. Et pendant que ces deux aideurs de peuple jouent à Vis ma vie, le reste du pays est en mode arrêt.
Dans les heures qui suivirent l’assassinat du président de la République, son premier ministre intérimaire fraîchement révoqué s’empressait de nous rassurer sur l’avenir. « Tout est sous contrôle », proclamait-il alors que des mercenaires étrangers accusés d’avoir tué le président s’étaient barricadés dans un immeuble en location et échangeaient des tirs avec la police. La proclamation était étonnante. Avec quelques raisons. La formule rappelait des coups d’État passés et forçait même les plus réticents à demander cui bono. Mais, surtout, ce.premier ministre a.i. de feu le Président Jovenel Moïse, chef du Conseil supérieur de la police, nous avait déjà habitués aux déclarations qui n’engagent à rien. Quelques mois plus tôt, il avait tenté une opération de communication lors d’une visite éclair au territoire perdu du Martissant pour nous convaincre que, là aussi, tout était sous contrôle. Aussi, plutôt que de rassurer, cette proclamation a-t-elle plutôt eu l’effet inverse. C’était l’annonce de jours plus sombres.
Les jours plus sombres ne tardèrent pas à se manifester, non pas sous le contrôle de l’ancien Premier ministre a.i. qui prétendait tout contrôler, mais sous celui de son successeur, dont il était brièvement devenu le ministre des Affaires étrangères avant d’être sommairement remercié. Depuis, plus d’un demi-million de citoyens ont dû fuir leurs maisons ; un autre demi-million a quitté Haïti; le reste espère bientôt quitter un pays auquel ils ne croient plus. Entre temps, certain avocat autoproclamé du peuple qui liait toute sortie de crise – fin de la violence, fin des kidnappings, miel et lait – au départ de Jovenel Moïse, rejoignit le nouveau PM nommé par ce dernier un jour avant son magnicide. Il s’agit d’un des artisans du lòk qui a permis aux gangs de prendre peu à peu le contrôle de territoires de plus en plus vastes de la zone métropolitaine. Lui qui s’opposait à toute élection, toute négociation, toute réforme constitutionnelle sous Jovenel Moïse, dont il contestait le mandat pourtant issu d’élections, ne jure plus que par la négociation, les élections et la réforme constitutionnelle avec Ariel Henry, Premier ministre illégalement installé après la mort du président et qui occupe la fonction de manière illégitime depuis au moins novembre 2021.
Hier, le Dr Henry nous a gratifiés d’un discours rappelant qu’il n’y aurait pas de transition vers une autre transition – proposition avancée par certains de ses opposants – et qu’il ne partirait qu’après les élections. Il est évident que personne, en ce moment, n’est capable de le faire partir par la force. Si tout ce que les révolutionnaires sont capables de mobiliser est un individu qui débarque, bras ballants, en bateau pour éviter les chefs de gangs, afin de « manifester avec son peuple » quelques minutes avant de fondre comme beurre au soleil, peut-être ne sommes-nous pas prêts pour une révolution après tout.
Alors, pouvons-nous nous concentrer sur l’urgent et parer au plus pressé : la sécurité et les élections? La communauté internationale s’essaie à convaincre le Nouvelliste que son accompagnement de la police nationale progresse bien et le Kenya vient de solliciter un statut de membre observateur auprès de l’Organisation des États Américains. Même si des questions subsistent quant à la légalité de l’envoi des forces kényanes en Haïti et surtout quant au financement (américain) de la mission, son arrivée prochaine ne semble pas faire de doute. Quant à la PNH, elle semble capable de résister à des attaques armées et d’arrêter les assaillants ; le problème de la sécurité se profile gérable.
Reste à travailler sur la question des élections. J’y reviendrai.





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