Non, le BINUH n’a jamais applaudi le G9 pour la baisse de la criminalité en Haïti

Ce matin – en DM, parce que, à ce qu’il appert, de poser certaines questions en public serait désormais passible de méchants tweets – j’ai reçu une de ces questions qui me surprennent par leur bizarrerie. Les mois précédents, les questions en DM tenaient surtout au référendum depuis reporté sine die:

Est-ce que la Constitution interdit les référendums ? – Non, juste pour la changer, elle. Voir son article 284-3. Est-ce que le président Jovenel Moïse a le droit d’organiser un référendum ? – Cela dépend des interprétations que l’on fait de la stabilité (article 146) et du pouvoir (article 150) mais, de toute façon, nous n’avons pas de Cour Constitutionnelle et nous sommes dans le de facto et donc on pourrait dire que le président de la République a tous les droits dont il use de fait. Est-ce vrai que le gouvernement vient de décider qu’on peut voter au référendum même avec son permis de conduire ? – Oui, mais la décision n’est pas nouvelle, elle était déjà inscrite dans l’article 13 du décret sur le référendum constitutionnel du 5 janvier 2021 et concerne les personnes inscrites sur le registre référendaire mais n’ayant pas encore reçu leur CINU. Est-ce que c’est vrai que, comme le dit, Le Nouvelliste, nous ne connaissons toujours pas la question qui sera proposée au référendum ? – Le Nouvelliste doit se tromper de bonne foi, la question est précisée à l’article 51 du décret; je le leur signalerai. Le décret sur le référendum constitutionnel autorise-t-il vraiment l’arrestation des opposants au pouvoir ? – Non. Il existe toutefois un chapitre X sur les infractions au décret référendaire faisant référence à la dégradation de murs (106), à la destruction de placards publicitaires (107), à la consommation d’alcool dans le lieux publics la veille du scrutin (108), le vote frauduleux (109, 111, 112), la perturbation du vote (113), les manifestations en faveur du non ou du oui entre le jour du référendum et la proclamation des résultats (114), les fake news (121) etc … Et, naturellement, illibéralisme oblige, tout cela pourrait être utilisé contre des opposants au pouvoir; d’autant qu’il se trouve là des infractions taillées sur mesure pour les réactions coutumières à tout scrutin en Haïti. Participerez-vous au référendum ? Pour le oui ou pour le non ?– LOL

Ce mois-ci, c’est surtout l’insécurité, l’ANI et le G-9. Le G-9 est-il financé par le pouvoir ? – Je n’en sais rien. Beaucoup de ces membres sont des « leaders communautaires » ouvertement financés par des gens de tout bord, y compris des membres du pouvoir actuel. L’opposition a-t-elle des gangs ? – Je n’en sais rien. Certains de ses leaders traînent toutefois une réputation sulfureuse. Le décret sur l’ANI permet-il de bloquer les réseaux sociaux ? – Douteux. Quel article exactement est incriminé ? Il s’agit d’un décret à revoir, comme d’ailleurs tous les décrets ayant force de loi des 35 dernières années qui ont grandement besoin de devenir proprement des lois débattues et votées au Parlement, mais je ne vois pas d’où vient cette conclusion particulière. Du reste, le gouvernement n’a pas besoin d’un décret pour bloquer les réseaux sociaux lorsque la raison d’Etat y suffit largement. Ceci dit, sur la scène internationale, bloquer les réseaux sociaux fait mauvais genre et voilà pourquoi très très peu d’États s’y adonnent ; cela m’étonnerait fort que le nôtre le fasse. Après, même dans ce cas, les VPN existent. Pensez-vous que nous allons nous en sortir ? – Je l’espère.

La question sur le BINUH toutefois m’a momentanément laissée muette. Je n’avais pas de réponse parce que n’étant pas certaine d’avoir bien lu. J’ai demandé des précisions puis ai fait une recherche rapide sur Google. Il s’agissait d’un rapport du Bureau intégré des Nations Unies sur la situation sécuritaire où la nouvelle alliance de gangs était présentée de la façon la plus objective, chiffres à l’appui. Je reprends l’ extrait incriminé ici – même si je vous invite, comme à l’accoutumée à lire le texte par vous-même:

La signature, le 22 août, par plusieurs chefs de gang de ce G9 d’une trêve avec leurs rivaux de la Cité-Soleil et les informations faisant état de tensions, fin août, au sein de l’alliance ont suscité des interrogations sur la solidité de sa cohésion interne. Néanmoins, le renforcement du contrôle du G9 sur certaines parties de l’agglomération semble avoir eu une incidence sur les grandes tendances de la criminalité au cours de la période à l’examen. Les homicides volontaires signalés à la police ont diminué de 12 % entre le 1er juin et le 31 août, et ont fait 328 victimes (dont 24 femmes et 9 enfants) contre 373 (dont 9 femmes et 12 enfants) au cours des trois mois précédents.’’

Une simple présentation de faits avec les précautions d’habitude – « semble avoir » et non « a » – et des chiffres pour montrer la tendance. Cette baisse des homicides volontaires s’accompagnerait toutefois, toujours d’après le rapport, d’une augmentation des enlèvements. Ainsi qu’on peut le voir en lisant la suite directe de l’extrait précédemment cité :

Tout comme dans les périodes précédentes, 74 % de ces cas ont été enregistrés dans le département de l’Ouest, où vit environ 35 % de la population et où la violence en bande organisée est plus répandue. Un examen plus attentif des statistiques révèle cependant une flambée subite en juin (171 homicides volontaires signalés contre 132 en mai) qui coïncide avec la formation de l’alliance du G9 et correspond aux raids les plus meurtriers menés sur le quartier de Pont-Rouge et la commune de la Cité-Soleil à Port-au-Prince. Après quoi, on constate un déclin marqué de ces incidents après le mois de juillet (77 homicides signalés), une fois les alliances reconfigurées. À l’inverse, les enlèvements ont suivi la tendance inverse. Après avoir diminué régulièrement depuis mars pour atteindre une moyenne mensuelle de 3,5, le nombre d’enlèvements est passé à 19 en juillet, les gangs étant retournés à des activités plus lucratives après des semaines d’intenses négociations et d’affrontements. Au total, 32 personnes (dont 9 femmes et 3 enfants) ont été enlevées, contre 25 au cours des trois mois précédents (dont 7 femmes et 7 enfants), ce qui représente une augmentation de 28 %. Cette augmentation du nombre d’enlèvements semble toutefois avoir été contenue par les opérations de police menées dans la dernière partie de la période considérée, qui ont conduit à l’arrestation de 53 personnes soupçonnées d’avoir participé à des enlèvements et de 51 autres membres de gang.

Difficile d’y voir des « applaudissements » de l’action des gangs. D’autant que, anticipant un risque d’une intensification de la violence des gangs avec la publication du calendrier électoral, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti souligne que « freiner le développement des gangs reste … une priorité pour la Police ».

La couverture dans la Presse, à l’époque, contenait un peu de tout, allant d’un factuel Roberson Alphonse au Nouvelliste titrant Selon l’ONU, grâce au G9, moins de morts violentes mais plus d’enlèvements – encore que le grâce soit débatable mais en Haïti grâce à, à cause de, du fait de, semblent souvent interchangeables – à toutes ces « mésinterprétations » qui avaient conduit la cheffe de la mission de l’ONU, Madame Helen Lalime, à devoir préciser que, non, au final, le BINUH n’a pas pris fait et parti pour le G-9. Aujourd’hui, 8 mois plus tard, la question reviendrait sur le tapis. Et comme j’avais raté la controverse la première fois – depuis quelques temps, je régule énormément les morceaux de « presse » qui m’arrivent – me voilà donc la découvrant avec une stupeur mêlée d’admiration pour le degré de stupidité dans lequel continue de nous plonger la langue française.

Certes, il est dans tout cela un peu – beaucoup ? – de mauvaise foi mais je continue de croire – d’espérer ? – le problème de la langue fondamentale. À tout le moins, le créole devrait permettre de réduire les possibilités d’offuscation ou, en tout cas, demander plus d’efforts à ceux qui veulent mal lire, exprès.

Car, enfin, comment expliquer cette allergie croissante aux faits dans les discussions politiques ? Pourquoi cette opposition aux rapports et aux sondages réussit-elle à gagner des gens que nous pouvions supposer raisonnables ? D’où les gens peuvent ainsi effrontément mentir sur des textes qui sont aisément accessibles et qu’ils peuvent consulter eux-mêmes ?

Quoi ça ? Aux États-Unis d’Amérique où tout le monde (ou presque) parle anglais, on constate les mêmes tendances ? Et cela semble gagner peu à peu le monde entier, comme une sorte de pandémie de post-vérité aidée par la viralité du fait des réseaux sociaux ?

Pas faux.

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