Du biais de confirmation et autres considérations intempestives

Hier, Le Nouvelliste a été chercher une étude publiée il y a trois ans par « une équipe de chercheurs de l’Institut Faraday pour la science et la religion de l’université de Cambridge » pour nous proposer un titre peu banal: « Pour plus de 50% d’Haïtiens le séisme de 2010 était une punition de Dieu« . Je l’ai découvert ce matin par un tweet du réalisateur haïtien Richard Senecal, puisque, ayant retrouvé mon précieux OnePlus, j’ai aussi retrouvé l’oiseau moqueur. Espiègle, j’ai pensé envoyer un tweet « subtil » quant à ce manque de prudence peu caractéristique du plus ancien quotidien haïtien. Puis, je me suis ravisée et me suis proposée d’attendre ce qui pourrait se révéler une belle occasion d’enseignement. Le tweet est ainsi resté en suspens.

Voilà une étude dont la méthodologie consiste à comparer, sans autre forme de procès, Haïti et l’Indonésie, parce que les deux ont fait face, à 4 ans et des centaines de milliers de victimes d’intervalle, à un séisme meurtrier. Trois cent soixante six questionnaires ont été analysés – dont  212 en Haïti  – et les conclusions publiées. Sur la terre de Dessalines, ces questionnaires « ont été distribués à six endroits différents autour des zones affectées ». Voilà qui est d’une rare solidité. D’autant que 50% est un chiffre si exactant. Surtout quand les questions tournent autour de « quatre concepts émotionnels et de croyance : 1) attribution de responsabilité ; 2) peur et perte de contrôle ; 3) croyances sur le monde et les gens ; et 4) religiosité ». L’on comprend que le plus ancien quotidien d’Haïti n’ait pas hésité une seconde à titrer ainsi.

Les internautes non plus ne sont pas restés en reste. J’avais voulu attendre pour vérifier mon hypothèse et ils ne m’ont pas laissée tomber. Celleux qui ont partagé l’article sur Facebook, Twitter et Whatsapp l’ont fait sans questionner la méthodologie – on les comprend, ce n’est pas comme pour le sondage d’Ayiti Nou Vle A où il y avait une présentation complète, les données brutes et des graphiques interactifs. Il s’agit de chercheurs de l’université de Cambridge. Aussi, s’empresse-t-on de partager ce que l’on savait déjà de notre religiosité problématique.

L’on tenta même de pousser la chose à montrer l’inanité des sondages parce que, de toute façon, on ne peut pas se baser sur eux pour ajuster nos décisions de politique publique.

J’ai pensé, un temps, rappeler qu’il existe des sondages d’opinion et des sondages de référence et qu’il s’agit plus d’un outil pour jauger des fenêtres d’opportunité que des décisions de politique publique, mais 1) je l’avais déjà fait et 2) la libération liberticide du fascisme militant céans est trop dépendante du mépris du peuple pour que cela fasse une quelconque différence. Naturellement, je laisse de côté le ridicule de comparer le lòk (et son rejet massif) à une politique publique. Il est certaines aberrations si parfaitement absurdes qu’il vaut mieux les ignorer.

Il fut aussi ce tweet se croyant intelligent mais étalant péniblement les effets dévastateurs et continus d’étourdissements que j’ai voulus – et veux encore croire – passagers.

En gros, les gens semblent accuser un sondage d’avoir mis fin au lòk. Ma foi, si c’est le cas, Ayiti Nou Vle A mérite au moins un petit remerciement pour lui permettre de mettre sur pied son Bawomèt et ainsi continuer à sauver Haïti de désastres futurs. Le hic, il semblerait, viendrait du fait que, apparemment, ce faisant, l’association se serait ralliée aux intérêts de l’international et du statu quo, trahissant la lutte.

Si rendre public le vœu de la population haïtienne de ne pas être enfermée contre son gré, rançonnée aux barricades et privée de sa liberté de circuler, c’est trahir la lutte, il faut peut-être revoir la lutte. Certes, Clifford Brandt a été fait kidnappeur à l’insu de son plein gré, mais lui, au moins, avait l’excuse de l’argent. Lui, ne militait pas pour le peuple, il militait pour sa poche. Lui, ne voulait pas changer le système, il voulait que le système lui donne le contrat qu’il croyait lui être dû. Le désir d’une tabula rasa – aussi noble puisse-t-il être – ne peut justifier la destruction d’un pays sous prétexte de le construire.

Le sétoupamisme n’est jamais noble. C’est bien romantique de croire qu’il suffit qu’on arrive au pouvoir pour qu’on change tout mais la réalité est que pour changer de système, il en faut un autre. C’est tentant de voir dans la lutte contre Jovenel Moïse la solution à tous nos problèmes mais c’est une croyance naïve et de l’énergie mal dépensée. Depuis le temps que nous pratiquons les vive et à bas, il serait utile de passer à autre chose, de parier sur les idées et les institutions plutôt que les gens – surtout si c’est nous, les gens. Il est plus que temps de sortir enfin Haïti du transitoire et cela passe par l’institutionnalisation de notre démocratie.

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