Il est peu de cas où je me retrouve forcée de questionner mon féminisme autant que celui de la prostitution. Je peine à accepter que ce puisse être un choix de carrière librement consenti. Je suis pour libérer la sexualité. Je ne remets pas en question le fait que l’on puisse user de la loi de son corps comme on l’entend– l’habeas corpus est bientôt millénaire – mais je peine à comprendre que l’on puisse justement entendre le vendre à d’autres – un problème par ailleurs réglé avec l’invalidité de fait des contrats d’esclavage.
Ce n’est pas, naturellement, la seule question qui me laisse pantoise. J’ai presqu’autant de mal à comprendre qu’une femme puisse être de l’une ou l’autre des 3 religions abrahamiques à la misogynie assumée ou, pire encore, ne pas être féministe. J’entends parfaitement comment la chose est possible, je reste consciente des circonstances et autres méta-structures qui expliquent ce qui, pour moi, se résume à une aberration, mais je ne comprends pas, je refuse de comprendre.
La prostitution, toutefois, c’est, autre chose, plus viscérale. J’ai déjà abordé la question ailleurs et ne vais donc pas m’attarder sur le caractère résolument féminin (entre 80% et 90%), jeune (début de l’adolescence), forcé (trafic sexuel), criminel (par des proxénètes) et sexiste (entre 96% et 99% de clients mâles) du « métier ». L’on me maintient toutefois que beaucoup de travailleur.se.s sexuel.le.s se vendent en toute liberté et il me semble qu’il est temps, ne serait-ce que pour moi-même, de traiter la question en public.
Je mettrai de côté mon malaise profond, de descendante de personnes anciennement asservies, à parler de se vendre librement. À mon bureau, il est interdit de parler d’apprendre à nos étudiants à se vendre sur le marché du travail. Cela évoque des images de marché aux esclaves où mes ancêtres, reluisants de sueur et d’huile sous un soleil de plomb, étaient vendus à l’encan. Mon être entier se rebiffe à l’évocation. Je veux bien qu’on les prépare à chercher et trouver un emploi. Mais se vendre ? Non, merci. Nos ancêtres marqués au fer et vendus au plus offrant ne se sont pas battus pour nous rendre libres pour que nous nous travaillions notre marque afin de nous vendre sur un marché, quel qu’il soit. Mais je m’éloigne.
F. s’était mis en couple avec une (ancienne) personne prostituée. F. n’est pas n’importe qui. C’est un homme d’affaires qui a plutôt réussi sa vie, si l’on oublie le fait qu’il est un alcoolique fonctionnel. F. vient d’une bonne famille dont il est un peu le mouton noir, mais comme il y en a dans toutes les familles, un mouton noir convenu. F. s’est offert les services d’une Dominicaine et est tombé amoureux. F. a fini par lui proposer d’emménager chez lui dans son bel appart cossu et à la présenter à tou.te.s ses ami.e.s.
F. ne veut pas que sa copine se sente mal à l’aise. Il veut qu’elle sache qu’il n’a pas honte d’elle et même qu’il en est fier. Aussi finit-il toujours par parler de l’ancienne profession de sa dulcinée. Il en parle avec des termes de révérence. Il parle de l’immense courage que cela prend, les talents insoupçonnés que l’on développe, le brillant sens des affaires. F. est proprement admiratif. Il est sincère. Il n’a pas à le dire – même s’il le dit quand même – cela se voit.
La copine de F. , elle, semble gênée par ces effusions. Pas comme on est gênée quand un copain vante la grande élocution de sa copine avocate ou la dextérité de sa copine chirurgienne. Pas la gêne de la modestie. La gêne d’une histoire qu’on aurait préféré garder pour soi. C’était bien beau que F. accepte son (ancien) travail à ce point mais cette publicité qu’il lui faisait la dérangeait. Elle n’en a jamais rien laissé sortir toutefois. Elle riait avec lui, quand, dans la conversation, il y faisait référence, avec le même naturel que l’on parlait d’autres affaires, d’autres métiers. Jamais, elle ne lui a dit. Je crois que, c’est parce que, même si l’un et l’autre ne se l’admettaient pas, ils continuaient d’entretenir une relation client-prostituée. Elle le rendait heureux contre de l’argent. Lui la payait pour être heureux.
C’est elle qui, un beau jour, est partie. Elle est rentrée chez elle pour se construire une autre vie. Elle a dû finir par décider qu’elle en avait assez. F. avait beau être adorable dans son excentricité et son féminisme assumé, son exubérance n’aidait pas avec la société patriarcale qui est la nôtre. Elle était seule, n’avait d’autre ami.e que F. – ses relations avec ses anciennes collègues s’étaient progressivement espacées jusqu’à s’éteindre complètement – et elle se savait jugé.e, même et surtout quand les gens faisaient preuve d’une extrême politesse en ce qui la concerne.
F. s’en est sorti, après un détour par l’alcool, les drogues et toutes sortes de mise à l’épreuve de son foie et autres organes vitaux, mais il s’en est sorti. Il a arrêté toutefois de vanter les mérites de la prostitution. Sa lecture a changé. Personne ne choisit de se prostituer. On s’y retrouve parce qu’on croit ne pas avoir le choix. Certes, il est toujours autre chose mais nous tombons là dans des considérations morales qui ne nous avancent en rien. Il s’agit ici de choix pratiques entre un peu de confort et la misère la plus abjecte. Personne ne rêve, enfant, à se prostituer. Cela vous détruit quelqu’un. De l’intérieur.
Des ami.e.s féministes insistent. Les travailleuses du sexe méritent notre respect, pas notre pitié. Je veux bien. Je ne suis pas une grande fan de la pitié et le respect de tout être humain va de soi. Je n’arriverai toutefois probablement jamais à trouver la prostitution empowering. Je veux bien admettre qu’il puisse exister quelqu’un, quelque part, qui se prostitue pour le pouvoir que cela lui donne sur les émotions des autres – par les lois de probabilités, il faut bien qu’il y en ait un – mais là s’arrête mon ouverture d’esprit.
Je ne suis pas fermée à l’idée mais, comme le dit le mème , quand on ouvre trop son esprit, le cerveau finit par s’en échapper. En attendant que l’on me démontre que l’industrie mondiale de la prostitution repose sur le choix librement consenti – le triple pléonasme est ici nécessaire- de personnes prostituées non criminalisées, la féministe que je suis continuera à rejeter tout ce qu’elle emporte de dégradation et de destruction. Et si cela fait de moi une mauvaise féministe. Tant pis.
« Personne ne choisit de se prostituer ». Cette phrase prouve dès le départ que l’auteur ne saisit pas tout à fait la réalité. Certains pourraient dire que nous avons toujours le choix, mais moi je ne suis pas encore là. La prostitution est parfois un acte volontaire surtout quand cela se pratique par une nymphomane. J’étais en en rhéto quand j’avais appris l’existence d’une fille consentante pour des orgies (bibil). Elle disait à tous qu’un seul garçon ne pouvait pas le satisfaire, et c’est elle qui à chaque fois organisait… L’auteur est peut-être de bonne foi même quand moi j’ai en tête la réalité lui échappe. La personne de Bilou Caliente, les regroupements comme Baz Koko fè, et Big Djonel genre de vie à un certain moment, et bien d’autres encore sont tous des filles et des femmes qui volontairement, sans se retrouver forcément dans une situation économique urgente, qui ont/ou avaient fait choix librement de la prostitution.
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Merci pour cet article : je me reconnais à la fois dans la prise de position radicale et dans les doutes. Comment associer le caractère inacceptable de la prostitution et le respect des personnes qui se revendiquent « travailleur.se.s du sexe » ? Je ne sais pas. Mais ma conviction demeure que c’est l’une des pires manifestations du patriarcat et de la culture du viol.
Pour répondre au commentaire, je ne vois pas en quoi être « nymphomane » (vous vouliez peut-être juste dire aimer le sexe) et organiser des « orgies » librement aurait quoi que ce soit à voir avec vendre son corps pour le plaisir sexuel des autres.
C’est tout l’opposé. Dans un cas, répondre à son propre désir (non conventionnel, soit). Dans l’autre cas, ignorer son désir pour satisfaire celui des autres.
Si la prostitution avait quelque chose à voir avec le désir de la femme qui se prostitue, alors étonnamment ce seraient les Nigérianes sans papiers et les femmes de l’Est sans argent qui seraient les plus « nymphomanes » ? Absurde.
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Le mot « nymphomane » est déjà en soi une croyance sexiste basée sur la polarisation des femmes et des hommes et de leur sexualité. Comme si à priori le désir sexuel d’une femme ne pouvait équivaloir à celui d’un homme, sauf exception.
En fait, cette polarisation (dominant/dominée) se concrétise par une sexualité au dépend de celle des femmes (dont les spécificités sont niées) au bénéfice des hommes, bien entendu… La croyance d’une femme insatiable étant justement souvent liée à l’ignorance (crasse) de ces hommes des besoins anatomiques et sexuel de la femme.
La réalité échappe surtout à ceux qui pataugeant dans les croyances et fantasmes (perception des femmes, de l’Autre donc, avec des lunettes en peau de zob), ne voient que les apparences sans se soucier du contexte éminemment patriarcal (hégémonie des valeurs et attentes masculines intégrées par toutes et tous) de la sexualité (du désir donc) et de la prostitution (femme/objet/désirable VS homme/sujet/désirant).
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