La truffe

Par un beau jour de printemps, alors qu’elle allait gaiement par un parc étranger, une petite fille s’arrêta brusquement, figée par la vue d’une étrange boule noire toute bosselée. C’est son odeur qui l’avait arrêtée. Un parfum intense et puissant aux senteurs de la terre, aux senteurs de la mère, aux senteurs de la vie. Elle comprit instinctivement qu’il lui fallait l’avoir. Elle se pencha, la ramassa puis la serra contre elle. Elle ne savait qu’en faire mais n’en avait que faire. Elle savait la vouloir et ça lui suffisait. Elle la mit en conserve dans un joli bocal et se contenta longtemps de garder avec elle son arôme si unique.

Par un beau jour d’été, inconsciemment lasse de goûter à une boule imaginaire, elle ouvrit le bocal, y goûta pour de vrai. Elle fut d’abord saisie par un heureux contraste. Une texture à la fois moelleuse et croquante et une forte saveur tout en délicatesse. Désormais, elle associait tous les plats à sa boule et ceux-ci prenaient, comme par magie, une nouvelle dimension. La petite fille ne comprenait pas. Elle chercha à comprendre et découvrit qu’elle tenait, entre ses petites mains, un rare trésor : une truffe noire.

La truffe est le produit de la fructification comestible d’un champignon. C’est un mets recherché et apprécié depuis l’Antiquité. En Égypte où le Pharaon Kheops en usait pour impressionner les délégations venues l’honorer. Dans la Bible où Léa la disputa à Rachel. À Athènes où elle valut le droit de cité aux enfants de Chérips. À la table de Clément V, premier pape d’Avignon, aux banquets du Roi-Soleil et aux dîners de Napoléon où, immanquablement, elle trôna en maître.

Voilà notre petite fille bien fière de sa truffe. Elle sait toutefois faire une intolérance aux champignons. Son petit corps n’est pas en mesure de les digérer correctement. Elle prend peur et décide de laisser tomber la truffe. Avant qu’elle ne la rende malade. Avant qu’elle ne soit forcée de la détester. Pour qu’elle puisse continuer à l’aimer. Toujours.

La petite fille a tort. Quelque part, elle le sait. La truffe ne lui a pas fait mal. Pas vraiment. Il est même probable qu’elle ne lui en fasse jamais. Mais elle ne veut pas prendre le risque. Ce ne serait pas logique.

Mais aimer ce qu’on est, d’où l’on vient, sa patrie, ça n’a rien de logique. En rester éloigné peut sembler plus facile mais arrive un moment où l’imaginaire ne suffit plus. Où il faut s’engager même au risque de se blesser. Parce qu’on en a besoin. Parce que son pays en a besoin. Parce qu’ailleurs a beau être accueillant, ce ne sera jamais chez nous.

6 commentaires sur “La truffe

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  1. Puissant! Il n’en demeure pas moins que contrairement à la fille qui prépare elle-même son plat, dans un jeu collectif les autres y rajouteront les champignons mêmes les plus vénéneux parce que de leurs goûts… au bout du compte le consensus sera l’auberg Espagnol… c’est aussi ça le drame de la collectivité

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