Le Président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Edgard Leblanc Fils, a prononcé un discours à la 79ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies que certains qualifient d’« historique » en raison d’un vibrant appel aux réparations (et, possiblement, de la précision apparemment nécessaire désormais que les Haïtiens ne mangent pas de chats). En réalité, cet appel à la justice pour des torts du passé, aussi légitime soit-il, est en décalage avec l’urgence de la situation en Haïti, et cet appel à l’émotion criant ne saurait assouvir notre soif de représentation digne, même à nous arriver sous forme de pichet entier.

Le discours de M. Leblanc a touché une corde sensible en Haïti. Évidemment. Comme les fameuses interventions d’une ancienne représentante d’Haïti à l’UNESCO, il ramène les Haïtiens à quelque chose de fondamental dans l’imaginaire national – quelque chose qui, en dépit de tout, nous lie dans cette communauté imaginée où tous et toutes nous avons fait 1804. En rappelant la geste de 1804 et en plaidant pour des réparations dues à Haïti depuis près de deux siècles, il a, sur cette estrade, à la tribune de l’ONU, brièvement ranimé l’héritage de la première république noire indépendante. Il a également évité de tomber dans la simple demande d’aides financières, préférant une approche plus digne, qui cherche à ancrer Haïti dans une lutte pour la justice historique.

Cependant, bien que 1804 ait marqué une rupture dans l’histoire coloniale mondiale, et bien que la quête de réparations soit légitime, la réalité haïtienne ne peut pas simplement être balayée par le rappel de victoires historiques. Aujourd’hui, Haïti est confrontée à une nouvelle forme de lutte – celle de la sécurité, de la stabilité politique, et de la survie économique. Évoquer 1804 dans un moment où les gangs contrôlent des territoires entiers et où le gouvernement ne parvient plus à offrir les services de base semble déconnecté des enjeux actuels.

La vérité est que le Conseil Présidentiel de Transition manque de crédibilité. Ce n’est un secret pour personne : le CPT ne bénéficie d’aucun soutien populaire. Il a été installé après que des gangs armés ont poussé à la fuite le précédent Premier ministre, un homme qui lui-même avait été imposé après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Le seul soutien dont jouit cette administration transitoire est celui de la CARICOM et des États-Unis qui ont désigné le Premier ministre actuel.

Cette absence de légitimité ne fait qu’aggraver une situation déjà intenable. Sans mandat populaire et avec un soutien limité de la communauté internationale, l’administration actuelle n’a pas de levier politique pour faire avancer des réformes ou restaurer l’autorité de l’État. En d’autres termes, sans élections, il est impossible d’envisager le redressement réel du pays. Le consensus démocratique est un prérequis à toute tentative de sortir Haïti de l’impasse actuelle.

La crise en Haïti n’est pas simplement sécuritaire, elle est avant tout politique. Le pays a un besoin urgent d’élections. Il est inadmissible que celles-ci soient reportées depuis tant d’années, alors que le peuple réclame la possibilité de choisir ses dirigeants. Des élections libres et transparentes sont cruciales pour ramener la stabilité et permettre aux Haïtiens de s’exprimer démocratiquement.

L’absence d’élections prolonge non seulement la crise politique, mais elle renforce également l’instabilité. L’organisation d’élections libres est la clé pour restaurer la légitimité de l’État haïtien qui, après tout, ne peut émaner que du peuple. Haïti ne peut rester indéfiniment gouvernée par un régime intérimaire sans mandat populaire. Cela affaiblit non seulement la crédibilité du gouvernement, mais aussi la confiance des citoyens dans l’avenir du pays.

Ce discours à l’Assemblée Générale de l’ONU ne peut être dissocié du contexte diplomatique chaotique dans lequel il s’inscrit. Une confusion interne où les rôles et fonctions ne sont jamais clairement définis, débordant régulièrement sur la scène internationale de la manière la plus humiliante. Nous avons assisté à un véritable imbroglio où les représentants haïtiens semblaient se disputer le privilège de s’exprimer au nom de la nation. Le Premier ministre Garry Conille et la ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy ont formé une délégation sans informer le CPT, reproduisant un schéma observé lors d’un précédent voyage.

Résolu à ne pas se laisser marginaliser, le Président du CPT, Edgard Leblanc – accompagné d’un autre conseiller-président, l’architecte Leslie Voltaire – a monté sa propre délégation, malgré des difficultés notables, notamment le refus initial des États-Unis d’assurer la sécurité de Leblanc, celle-ci étant réservée à Conille. Ce refus a finalement été levé après des protestations, et le gouvernement américain a convenu d’assurer la sécurité du coordinateur du CPT (selon Blinken au Département d’État), redevenu président (selon Hankins à l’Ambassade à Port-au-Prince).

Monsieur Leblanc a prononcé, devant une salle presque vide, un discours illustrant de manière saisissante la grande soif de justice et de dignité du peuple haïtien. Quant à Monsieur Voltaire, il s’est fait remarquer par deux incidents marquants : d’abord en se présentant comme président d’Haïti lors d’une intervention à l’ONU, puis en tentant de s’introduire à une réunion avec le Président Luiz Inácio Lula da Silva du Brésil, se proclamant « Président de la République d’Haïti ». Les agents de sécurité brésiliens, sceptiques, ont dû recourir à Google pour vérifier son statut de membre du CPT, avec l’aide d’un ancien ambassadeur d’Haïti au Brésil pour traduire en portugais. L’accès lui a finalement été refusé – ce qui est logique, puisque l’on ne s’invite pas à une réunion avec un chef d’État sans invitation préalable.

À ces malentendus diplomatiques s’ajoute l’obsession apparente de l’administration actuelle pour les opportunités de « photos souvenir ». Bon nombre des rencontres qualifiées de « fructueuses » dans les communiqués se résument à des échanges rapides dans des couloirs, le temps d’une poignée de mains et d’une photo. Il est clair que l’objectif n’est pas de s’attaquer en profondeur aux crises que nous traversons, mais plutôt de créer l’illusion de progrès à travers des clichés pris à la volée.

Nous ne pouvons plus nous permettre de détourner l’attention des véritables urgences par des discours de réparation ou en invoquant des victoires passées. Ce n’est pas en ressassant les gloires du passé que nous surmonterons la crise actuelle. Haïti a besoin aujourd’hui de sécurité et d’élections. L’avenir du pays dépend de notre capacité à restaurer une administration légitime, choisie par le peuple, qui pourra redresser la nation et répondre aux besoins de la population. Chaque jour sans dirigeants élus prolonge la crise.

Les Haïtiens méritent de pouvoir choisir leur destin.

5 réponses à « Une grande soif d’élections »

  1. […] président du CPT à l’ONU sont très tranchées. D’un côté, des Haïtiens, captivés par un discours « historique », s’efforcent de défendre son importance en raison de sa prétendue portée. De l’autre, le […]

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  2. […] s’affrontent pour savoir qui aura le droit d’inonder les réseaux sociaux de photos prises chez le Blan, des vies sont prises en otage par la peur et les gangs. Pendant que les projecteurs sont braqués […]

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  3. […] disposé à lui être favorable, Edgard Leblanc Fils. Mais Conille a préféré l’humilier, partant à deux reprises pour l’ONU sans consulter convenablement le CPT. Il a même tenté […]

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  4. […] est la seule, parmi ces messieurs et dames, à ne pas susciter le fremdscham habituel lié à notre représentation souvent pathétique à l’étranger. Mme Dupuy possède du verbe – parfois desservi par une prose un peu trop […]

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  5. […] solutions, et à certains acteurs politiques haïtiens qui y voient un prétexte pour justifier des restrictions de libertés ou la prolongation d’un état […]

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Répondre à L’Opposant Conille – La loi de ma bouche Annuler la réponse.

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