Je l’admets volontiers : je suis impressionnée. Une majorité de quatre conseillers a choisi ce midi le président du Conseil Présidentiel de Transition et un nouveau Premier Ministre, avec ou sans compétence d’empathie. Les deux désignations ont été effectuées successivement, sans délai, sans liste de candidats, et sans « document portant organisation et fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition » (articles 4 et 6 de l’accord du 4 avril 2024). Après la prestation de serment secrète au Palais National, c’est le deuxième « coup » réussi de ce nouveau conseil exécutif, et même si nous ne sommes toujours pas dans un coup d’État dans les règles, ce pas de chat d’un quator de vrais faux ennemis – EDE (Claude Joseph), Pitit Desalin (Moïse Jean-Charles), accord du 21 décembre (Ariel Henry) et l’accord du 30 janvier (Edgard Leblanc Fils) – démontre une telle souplesse, une telle agilité dans la nouvelle arène politique que l’on ne peut que s’arrêter un instant et l’admirer – dans le sens primaire du terme.

L’ancien sénateur Edgard Leblanc Fils et l’ancien ministre de la jeunesse Fritz Bélizaire, tous deux septuagénaires, sont respectivement Président du Conseil et Premier Ministre. Quelques voix s’élèvent contre cette gérontocratie naissante et regrettent que, encore une fois, la jeunesse ne soit pas représentée au pouvoir. Même à passer sous silence le fait que Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier avait 19 ans lorsqu’il accéda au pouvoir et Jean-Bertrand « Titid » Aristide en avait 37, il semble pertinent de rappeler que la jeunesse n’est pas un gage de probité, et qu’en période de transition, il est peut-être préférable que les dirigeants ne soient plus très jeunes au cas où l’envie leur prendrait de durer trop longtemps.

La rumeur veut que les trois autres secteurs membres votants du Conseil, réputés placés devant le fait accompli, menacent de poser leurs ballerines. Il est vrai que cette élection qui n’a pas eu lieu a manqué d’élégance. Quatre conseillers étaient candidats. Hormis Louis-Gérard Gilles qui a rejoint la majorité pour faire choix de M. Leblanc, sait-on même si les autres ont retiré leurs candidatures? Ce n’est pas qu’une décision par consensus soit une mauvaise forme de gouvernance – c’est même ce que prévoyait l’article 3 du décret créant le Conseil Présidentiel de Transition – mais celle-là a manqué de transparence et dans la situation actuelle, il importe pour la crédibilité du Conseil qu’on puisse y voir clair.

Article 3.- Le Conseil Présidentiel de Transition est présidé par un de ses membres choisi par consensus ou à la majorité de ces derniers.

Un acte règlementaire pris en Conseil des Ministres détermine l’organisation et le mode de fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition.

Le second paragraphe touche à un point névralgique. Il rappelle, comme nous le faisons sur ce blogue, depuis la publication du décret de sa création, que « le Conseil n’a toujours pas de contenu ». L’accord du 4 avril ayant été contourné, il faudra donner au CPT un contenu. Cette exigence qui explique peut-être la décision de la majorité de « choisi[r] et nomme[r] rapidement un Premier Ministre » comme le prévoit l’article 6 du décret. Le Premier ministre, en accord avec le (groupe majoritaire au) CPT choisira les membres du cabinet ministériel (article 7) et l’Exécutif sera désormais au complet – sans Législatif pour lequel il devra organiser des élections et avec un Judiciaire détruit auquel il faudra redonner corps. Mais d’abord, il doit communiquer mieux.

En deux apparitions publiques aujourd’hui, deux membres du Conseil – dont son nouveau président – ont présenté la désignation de M. Leblanc comme étant faite par la majorité (quatre) des membres (votants) du Conseil et donc n’engageant que ces membres-là. C’est une erreur. Le Conseil prend ses décisions à la majorité, et c’est donc une décision du Conseil. Les membres minoritaires peuvent toujours produire un rapport s’ils le souhaitent, mais il importe, pour des raisons que je veux croire évidentes, que le principe de l’unité soit respecté.

Certes, je n’aurai pas plus mon coup d’État selon les règles, mais au moins un début de consolidation sera possible. Pour l’instant, la population haïtienne ne semble pas particulièrement concernée. M. Leblanc annonce déjà de grands projets en matière de sécurité. Cela tombe bien, c’est la principale demande du peuple haïtien, même s’il est en droit d’être sceptique. Après tout, le Conseil Présidentiel de la Transition (CPT), en violation totale du principe du pacta sunt servanda, a choisi de ne respecter ni l’accord qui a permis sa création ni le projet de décret dit harmonisé qui devait lui servir de document d’organisation. Mais, peut-être est-ce là un signe du pragmatisme du nouvel exécutif chargé de restaurer l’autorité de l’État.

3 réponses à « Le Conseil présidentiel de transition a son président et son premier ministre »

  1. […] pour donner raison à la conclusion du billet d’hier soir, le texte fondateur du Bloc commence par viser l’accord du 3 avril et le projet de décret […]

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  2. […] non résolu, nous nous retrouvons, après un détour via un premier ministre sans président, avec un conseil présidentiel de 7 membres – les observateurs ne comptent pas – se cherchant un premier […]

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  3. […] le temps d’organiser des élections et de revenir à une situation de jure. Ils ont préféré se mentir, nous mentir, et se faire mentir. Aujourd’hui, ils en sont à préciser au Premier ministre […]

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