Est-ce pécher que de faire des enfants? Le Lévitique 12:6-7 semble l’impliquer en exigeant, pour chaque naissance, un sacrifice en expiation. Mais peut-être ne s’agit-il là que d’une conséquence du péché originel prolongeant la punition de Genèse 3:16, condamnant la Femme à de grandes souffrances lors de l’accouchement. Pourtant Dieu commande de croître et de multiplier. À plusieurs reprises même. Avant le péché (Genèse 1:28) mais aussi après (Genèse 9:1; 9:7 et 35:11). Ce pourrait être simplement de la misogynie divine ordinaire, mais alors comment expliquer 1 Timothée 2:15, où il est clairement indiqué que la grossesse sauve la Femme ?

Dans Children of Men de P. D. James (1992), la grossesse de la Femme, enfin d’une femme nommée Kee, n’est pas seulement sa clé de salut mais celle de toute l’humanité. Une humanité frappée d’un mal mystérieux rendant, en l’an de grâce 2021, toutes les femmes infertiles sauf elle. Une humanité qui a dépassé de loin le stade actuel où, en 2024, surtout dans les pays dits développés, le taux de fertilité se trouve de plus en plus en dessous du seuil de remplacement. Ce qui est une invitation à réfléchir sur l’avenir d’une espèce où les femmes n’ont plus d’enfants, qu’elles ne le puissent pas comme dans le roman de James ou ne le veulent pas comme dans le monde actuel.

Le déclin de la natalité dans les pays riches s’explique par plusieurs facteurs tels que l’éducation, le choix de retarder ou de renoncer à avoir des enfants pour des raisons liées à la carrière, aux aspirations personnelles et à des préoccupations financières, ou encore l’accès à la contraception. Les femmes ont moins d’enfants parce que toute grossesse est un risque, parce que les enfants coûtent cher, ou tout simplement parce qu’elles n’ont pas envie d’être mères. Après tout, dans Children of Men, Kee, porteuse d’espoir pour l’humanité, n’est pas la protagoniste. Nous ne savons rien de son passé, rien de ses motivations, rien de ses rêves ou aspirations. Bien qu’elle soit centrale à l’intrigue, elle n’est qu’un dispositif narratif.

Le héros du roman est Theo Faron, un humain mâle, comme il sied au fameux Hero’s Journey de Joseph Campbell pour qui les femmes n’ont pas besoin de journey parce qu’elles sont là où l’homme doit se rendre. L’histoire est écrite par une femme, Phyllis Dorothy James, qui usera de l’abréviation P.D. pour faire plus sérieux; comme sera forcée de le faire une autre auteure d’une autre oeuvre centrant un homme devenue le plus grand succès de vente en librairie, après la Bible. C’est l’histoire du voyage de Theo, de ses luttes personnelles et de ses interactions avec différents personnages et factions:

  • Le gouvernement autoritaire, représenté par des figures comme Xan Lyppiatt, cousin de Theo et Gardien autoproclamé de cette nouvelle Angleterre dystopique, qui voit dans la grossesse de Kee un moyen de rétablir l’ordre et de consolider son pouvoir.
  • Les rebelles, comme les Cinq Poissons luttant contre le régime, qui considèrent la grossesse de Kee comme un symbole de résistance et d’espoir pour un avenir meilleur.
  • Les communautés de réfugiés luttant pour survivre au milieu du chaos qui voient en la grossesse de Kee la possibilité d’un avenir au-delà du désespoir.
  • Theo Faron et ses alliés qui considèrent la grossesse de Kee comme un moyen de donner un nouveau sens à leur vie et, accessoirement, de préserver le potentiel de rédemption de l’humanité.

C’est un choix narratif qui renforce la marginalisation de la figure centrale du roman. Nous ne savons rien de Kee mais, à travers Theo, nous explorons des thèmes tels que la rédemption, le sacrifice et la résilience de l’homme. Kee est là pour faire avancer l’histoire de Theo, créer de la tension, offrir de la profondeur. Theo protège Kee et son enfant parce que sa femme Julian décédée le lui avait demandé mais surtout parce qu’il y trouve un nouveau sens à sa vie et de l’espoir au milieu du chaos d’un monde mourant. La grossesse de Kee devient un rayon d’espoir au milieu des ténèbres, et Theo la voit comme une chance de redonner un but à sa vie. Kee – un surnom sans nom de famille – est un symbole, une précieuse opportunité pour l’humanité de surmonter sa crise d’infertilité et d’éviter l’extinction. Elle n’a pas d’agencement propre. Son rôle est d’être enceinte et de fournir, à une humanité désespérée, l’enfant qui la sauvera.

C’est peut-être là, la clé (key, Kee?) de la résistance des femmes modernes à avoir des enfants pour alimenter un système qui ne les conçoit que comme des machines reproductrices. Peut-être que les femmes ont moins d’enfants dans le monde réel parce qu’elles sont fatiguées d’être des dispositifs narratifs alors qu’elles devraient être au centre du récit? Les femmes dans la littérature et les médias sont régulièrement représentées comme étant périphériques ou secondaires par rapport aux protagonistes masculins, renforçant les stéréotypes de genre, et peut-être que les femmes n’ont tout simplement plus la patience. Ou peut-être que c’est ainsi que nous nous libérons du péché: la mort de la race humaine. Pas d’humain, pas de péché originel.

Le déclin de l’espèce humaine comme moyen de transcender ou de surmonter les fardeaux associés au péché originel pourrait être une solution poétique au problème. L’extinction de l’humanité devient une forme de libération des conséquences du péché, offrant la possibilité – à Dieu? – de recommencer à zéro sans le poids des transgressions passées.


Pour vos suggestions, puis-je recommander de préciser les récits bibliques que vous souhaitez me voir aborder? Si vous n’avez pas la référence exacte, je peux la retrouver mais certaines suggestions sont trop vagues pour que je puisse vous faire un billet. Comme d’habitude, le lien pour faire vos demandes est ici: https://ngl.link/laloidemabouche

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