Des rumeurs persistantes veulent que l’ONU s’apprêtent à passer la souveraineté sur l’île entière à la République Dominicaine. Elles vont et viennent, n’ont guère de fondement autre qu’une impossible inimitié, mais subsistent par la puissance d’un imaginaire uniquement obtus. Pourtant, en dehors des bluffeurs qui les dirigent, les peuples haïtien et dominicain s’entendent bien pour leur survivre. À la vie, à la mort. Jusque dans les eaux parfois peu tendres de la mer des Caraïbes où, hier, sur une quarantaine de personnes embarquées sur une yola — le kanntè version dominicaine — en direction de Porto Rico, seulement 17, soit 10 Dominicains et 7 Haïtiens, ont pu être récupérés par la marine dominicaine. Quatre — trois hommes et une femme — y ont laissé la vie.

Si autant de gens se risquent à de telles traversées, c’est parce qu’ils fuient des conditions économiques, politiques et sociales insoutenables. En Haïti, les facteurs push sont particulièrement violents : la violence extrême des gangs (plus de 5 000 morts et plus d’un  million de déplacés internes depuis fin 2023) ; l’effondrement économique (inflation de ≈44 % en 2023 et contraction du PIB de −1,9 % la même année, aggravée en 2024 avec −4,2 %) ; l’effondrement des services publics (moins de 25 % des hôpitaux fonctionnels) ; ou encore les catastrophes naturelles à répétition. En République dominicaine, ce sont plutôt la pauvreté rurale (24,6 % des habitants des zones rurales sous le seuil de pauvreté), un sous-emploi massif (57.4 % des travailleurs en économie informelle), et les inégalités profondes (coefficient de Gini de 37,0 ; 1 % de la population contrôle 30 % des revenus) qui poussent les candidats à l’exil.

De l’autre côté de l’équation migratoire, les facteurs pull du « rêve américain » : l’espoir d’un travail mieux rémunéré, d’une vie plus stable, de meilleures opportunités pour les enfants. Porto Rico, territoire américain, est une première étape vers ce rêve, l’intention ultime étant de rejoindre le «lower 48 », généralement la Floride ou New York, où vivent déjà d’importantes communautés haïtiennes et dominicaines. Mais la route de l’Eldorado américain est périlleuse et semée d’embûches politiques. Entre octobre 2023 et avril 2024, dans la zone de Porto Rico et le passage de la Mona, la U.S. Coast Guard a intercepté 1 199 migrants, dont environ 95 % de Dominicains et 5 % de Haïtiens.

De façon générale, très peu de  yoleros  réussissent à atteindre Porto Rico ou à ne pas être repérés. Ils sont encore moins nombreux à continuer vers les États-Unis continentaux. Et, là encore, la U.S. Coast Guard les attend. Pour l’exercice fiscal 2023 (octobre 2022 – septembre 2023), 857 Haïtiens et 1 141 Dominicains de cette zone ont été interceptés et rapatriés directement. Une petite minorité parvient à rejoindre les États-Unis d’Amérique pour vivre dans la clandestinité et dans la crainte d’être expulsés. Et pourtant, malgré les risques, malgré les mers déchaînées et des politiques migratoires de plus en plus inhumaines, Haïtiens et Dominicains continuent de (dés)espérer et de partir ensemble.

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