La Primature n’en démord pas. Il n’y a eu aucune attaque de gangs armés lors de la malencontreuse entrevue du premier ministre Garry Conille avec la chaîne de nouvelles américaine CNN. Hier soir, dans un point de presse-bilan, le gouvernement a tenu à bien faire que comprendre que nous avions tout faux.

Si vous pensez avoir vu des vidéos circuler sur les réseaux sociaux démontrant le contraire ou, même, si vous avez vous-même filmé ces vidéos, non, vous ne l’avez pas vu. Après tout, qui allez-vous croire : le bureau du premier ministre ou vos yeux et vos oreilles qui vous mentent ?

La Primature en profite pour informer la population haïtienne des avancées de son plan de sécurité au cours des deux premières semaines de l’état d’urgence sécuritaire décrétée le 15 juillet dernier. Elle fait état d’au moins 104 bandits tués et 19 armes récupérées, et je ne peux m’empêcher de demander comment on a pu identifier des citoyens comme bandits armés alors qu’ils n’étaient pas armés.

Ce n’est pas la première fois que la police nationale présente des bilans d’opérations où le nombre d’armes saisies semble particulièrement faible par rapport à celui des bandits tués ou arrêtés. Habituellement, nous imputions cela à la pauvreté relative des groupes armés et à leur besoin de rationner armes et munitions. Cependant, un écart de 104 contre 19 est trop important pour ne pas se demander qui sont ces citoyens qui tombent sous les balles de l’État.

Un ami et lecteur émérite du blog offre une réponse lapidaire : « Ils sont laids , tatoués  et mal coiffés ».  La réponse a du mérite. Récemment, le commissariat de Pétion-Ville a exigé de ses agents qu’ils se coupent les cheveux pour présenter bien sous peine de sanctions. Des notes et/ou actions précédentes autour des tatouages et de la coiffure ont régulièrement ponctué le discours policier relatif aux attitudes des « gens de bien ».

En Haïti, terre de Dessalines dont la Constitution de 1805 proclamait tous les Haïtiens « Noirs », un individu « bien noir », vaguement sale, portant des locs et des tatouages est suspect. Il est un bandit jusqu’à preuve du contraire et est traité en tant que tel. S’il a le malheur de se retrouver dans les parages d’une opération de police ou même regarde de travers un policier, il risque de finir dans les statistiques des bandits armés tués sans armes.

De nombreux fils (et filles) de cette terre sont victimes de cette stigmatisation systématique basée sur un classisme et un colorisme profondément ancrés dans la société haïtienne. Ces préjugés dictent les actions des forces de l’ordre, renforçant une culture de méfiance et de discrimination envers les plus vulnérables. Ceux qui ne correspondent pas aux normes de présentation imposées par une société élitiste sont perçus comme des menaces, non pas en raison de leurs actions, mais de leur apparence.

Le classisme et le colorisme ne se contentent pas de discriminer ; ils condamnent. Ils font délibérément l’économie d’une analyse objective des faits et laissent place à des exécutions sommaires déguisées en opérations de maintien de l’ordre. De telles pratiques ne font qu’exacerber la méfiance envers la police créant un cercle vicieux de violence et de répression tout en érodant la légitimité de l’État et de ses institutions.

En ciblant des individus sur la base de leur apparence plutôt que sur des preuves concrètes, les autorités échoueront à s’attaquer aux véritables racines de la criminalité. Au lieu de démanteler les réseaux criminels, elles risquent de créer de nouvelles victimes, alimentant un cycle de violence et de ressentiment contre des forces de l’ordre qui méprisent l’égalité et la dignité humaine.

Le classisme et le colorisme, en plus de potentiellement causer la mort d’innocents, ne permettront pas de sortir de la crise sécuritaire. Ils contribuent à maintenir un système qui juge certains avant même de les connaître. Ce n’est certainement pas en nous en prenant à ceux qui sont « noirs comme du charbon » et ceux qui sont pauvres que nous résoudrons nos problèmes.

Demeure la possibilité que le gouvernement mente et que le chiffre 104 ait été choisi de façon facétieuse pour rappeler, comme d’un clin d’œil, que les bandits sont des parasites, des « san kat », des pique-assiette qui se sont invités dans l’assiette nationale. Mais, nous l’avons établi au début, il ne faut surtout pas croire nos yeux, nos oreilles et notre raison qui nous mentent.

3 réponses à « Qui sont toutes ces personnes non armées que la police tue ? »

  1. […] de facto haïtien, qui, jusqu’ici, ne semble avoir de plan autre que de communiquer autour de la terrible propension de nos yeux, nos oreilles et tous nos sens à nous mentir constamment, puisse nous engager de cette façon en votant pour une résolution accusant le Président Maduro […]

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  2. […] mais c’est parce que, en dépit de ce que le gouvernement Conille s’évertue à nous faire comprendre ces dernières semaines, vous persistez à croire vos yeux […]

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  3. […] l’inaction fait mentir les yeux de citoyens qui préfèrent leurs propres observations à la vérité gouvernementale, la communication tous azimuts est une parade comme une […]

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Répondre à La présidence, la primature et la chancellerie entrent dans un bar… enfin, une église. – La loi de ma bouche Annuler la réponse.

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