Connaissez-vous quelqu’un de pas tout-à-fait haïtien, qui habite en Haïti mais n’y exerce aucune profession et n’y est pas propriétaire, qui n’a pas reçu décharge de sa gestion en tant que comptable des deniers publics mais qui démontre une compétence d’empathie? Si, oui, vous venez peut-être d’identifier le.la futur.e premier.ère ministre haïtien.ne.

Le Conseil Présidentiel s’assure que le Premier Ministre et les ministres répondent aux critères d’éligibilité définis par la Constitution. Toutefois, compte tenu de la situation exceptionnelle de la Transition, et dans l’esprit de l’Accord politique trouvé entre les parties prenantes, des considérations spéciales sont faites quant aux alinéas 1 ; 4 et 6 de l’article 157 de la Constitution.

Article 17.1 du Décret

Pour être nommé Premier Ministre, il faut:
1) être haïtien d’origine et n’avoir pas renoncé à sa nationalité; […]
4) être propriétaire en Haïti ou y exercer une profession; […]
6) avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics.

ARTICLE 157 de la Constitution

Les critères d’éligibilité du premier ministre tels qu’énoncés à l’article 157 de la Constitution de 1987 visent à garantir sa loyauté, son engagement et sa responsabilité envers le pays et ses citoyens. Être haïtien d’origine et n’avoir pas renoncé à sa nationalité (1) pour limiter le risque d’agents doubles travaillant à la solde d’un État étranger – une phobie que nous entretenons constitutionnellement, et pour cause, depuis l’indépendance; être propriétaire en Haïti ou y exercer une profession (4) pour s’assurer d’un attachement économique au pays et à son bien-être; avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics (6) pour garantir la transparence et la responsabilité dans la gestion des fonds publics.

Ces critères constituent des garde-fous visant à garantir que le futur Premier ministre soit pleinement investi dans les intérêts du pays et qu’il en ait respecté toutes les obligations légales. Ce sont des mécanismes de contrôle importants pour prévenir les conflits d’intérêts et garantir que les personnes occupant des fonctions gouvernementales élevées agissent dans l’intérêt supérieur du pays. En les faisant sauter, les concepteurs du projet de décret semblent estimer qu’ils sont écartables dans la situation actuelle. Un choix d’autant plus étonnant que l’obligation de résider dans le pays depuis cinq (5) années consécutives (5) est maintenue.

Certes, il existe des raisons qui pourraient justifier de tels aménagements. Les signataires de l’accord politique pour une transition pacifique et ordonnée peuvent invoquer l’urgence de la situation, la nécessité d’inclusivité et de représentativité, le besoin de compétences spécifiques et des considérations politiques et pragmatiques. Ces aménagements en deviendraient des compromis nécessaires pour parvenir à un accord politique et mettre en place un gouvernement de transition fonctionnel dans un contexte de crise généralisée. Auquel cas, la décision de ne pas toucher à l’obligation de résidence consécutive de cinq ans en Haïti, n’en parait que plus curieuse.

Résider en Haïti sans y exercer de profession et sans avoir la nationalité d’origine est un profil manifestement atypique. Les individus qui résident dans un pays sont généralement impliqués dans une activité professionnelle, y sont propriétaires ou y ont des liens culturels ou familiaux étroits. À part quelques exceptions comme les diplomates et les expatriés dont l’activité professionnelle n’est pas locale, les étudiants étrangers qui ne travaillent pas, ou les rentiers et autres personnes vivant de revenus passifs pour qui aucune activité n’est requise. Un premier ministre rentier serait peut-être moins tenté de puiser dans les caisses de l’État, mais s’il a déjà eu à gérer des biens publics et n’a pas reçu de décharge alors que, quelques jours avant son assassinat, le président Jovenel Moïse avait accordé une décharge générale pour les 30 années précédentes, c’est suspect.

Les signataires de l’accord doivent avoir leurs raisons que nous ignorons – et n’est-ce pas là un déficit significatif de transparence ? – mais toute modification des critères d’éligibilité du Premier ministre, en particulier celle qui pourrait assouplir les exigences relatives à la décharge de gestion des biens publics ou à d’autres obligations légales, ne peut qu’être perçue avec une grande prudence par la population. Surtout quand on se rappelle que la crise politique en cours a été largement déclenchée par des préoccupations concernant la reddition de comptes et la gestion des fonds Petrocaribe. Dans un environnement politique marqué par des scandales de corruption et des appels à une meilleure gouvernance, cette décision remet en question la capacité des réformes proposées à véritablement renforcer la responsabilité, la transparence et la reddition de comptes, tout en préservant l’intégrité des institutions démocratiques.

3 réponses à « Un profil de premier ministre taillé sur mesure »

  1. […] aménagements aux critères d’éligibilité du premier ministre prévus à l’article 157 de Constitution aux alinéas 1; 4 et 6, soient les obligations […]

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  2. […] C’était l’époque où l’on s’efforçait de nous convaincre que Jovenel Moïse, qui ne contrôlait déjà plus grand chose, était un dictateur tout puissant, un usurpateur de trône, le leader suprême des gangs. Puis, au cours de la nuit du 6 au 7 juillet, le président est assassiné chez lui, sans résistance aucune, ni de sa garde, ni de la police, ni même de leurs chiens. Trois ans plus tard, le magnicide toujours non résolu, nous nous retrouvons, après un détour via un premier ministre sans président, avec un conseil présidentiel de 7 membres – les observateurs ne comptent pas – se cherchant un premier ministre. […]

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  3. […] de la Transition envisagent une nouvelle tactique pour choisir le futur Premier Ministre. Exit le profil taillé sur mesure ou l’exigence de compétence d’empathie; les candidats à la Primature, sélectionnés […]

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