Dans une autre vie, une jeune femme s’est retrouvée à la douane de Port-au-Prince pour récupérer une cargaison d’appareils de dialyse en provenance des États-Unis d’Amérique. Il s’agissait d’un don d’une fondation américaine et elle, par sa fondation en Haïti, était le point de contact.
Elle arriva à la douane, parée, manifeste et liste des bénéficiaires en main. Elle était consciencieuse et tenait à s’assurer que la distribution se passe bien. Elle récupéra les appareils, s’apprêtait à procéder à la distribution quand un inconnu l’arrêta net.
L’inconnu avait un nom qu’elle ne retint pas. Il représentait la Fondation d’un ancien président qui, paraît-il, allait se charger de la suite. Elle fit ce que toute jeune femme raisonnable ferait dans ces cas-là. Elle s’y opposa par une logique imparable : elle était le point de contact et cette fondation n’était pas sur sa liste de bénéficiaires. Elle était désolée, Monsieur, mais c’est non.
Le monsieur eut du mal à comprendre le refus de la jeune femme. Il était accompagné d’une équipe de militan, il était sur son pouvoir, on allait voir ce que l’on allait voir. Il appela des gens qui appelèrent des gens qui appelèrent des gens. Parmi ces gens, un Sénateur connaissant la famille de la jeune femme qui commença par l’appeler au téléphone puis est venu lui-même la rassurer – elle, qui commençait depuis à comprendre que les logiques imparables n’étaient pas infaillibles – que c’était parfaitement OK de ne pas respecter une liste de bénéficiaires.
La jeune femme se fit raisonnable, appela le contact américain qui avait lui aussi été contacté, récupéra les deux appareils destinés à sa fondation et laissa le reste de la cargaison au Sénateur et à Monsieur.
Elle ne sait ce qu’il advint de celle-ci mais, un peu avant le Nouvel An, un de ses amis a perdu son père qui souffrait d’insuffisance rénale et n’a pu trouver un appareil de dialyse à temps. L’épisode à la douane lui est revenu comme un coup de poing au cœur. Elle eut envie de pleurer. De colère. De rage. D’amertume.
Elle ne pleura pas. Elle ne pleure plus. À force de voir la corruption et la mal gouvernance tuer les siens, ses larmes se sont taries.
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