Dans la nuit 21 au 22 octobre 1904, en pleine guerre russo-japonaise, un escadron de la flotte russe de la Baltique, ouvrit le feu sur des chalutiers britanniques au large du Dogger Bank,  dans la mer du Nord, les prenant pour des torpilleurs japonais. Deux pêcheurs furent tués et plusieurs blessés.

L’incident provoqua une crise diplomatique majeure entre la Russie et le Royaume-Uni et conduisit à la toute première commission d’enquête internationale sous l’égide de la Convention de la Haye (1899). La commission conclut à une erreur due à la panique et à une mauvaise identification, sans intention hostile, et la Russie versa des indemnités aux victimes.

Dans L’Agent secret (1907), le romancier britannique Joseph Conrad transpose dans le Londres du début du siècle cette atmosphère de peur bureaucratique et de violence absurde. Dans Chance (1913), il poursuit, en mer, la même exploration du vernis fragile de la civilisation, fissuré par la peur et la confusion. Il n’est d’ailleurs pas le seul à saisir la portée symbolique de l’événement : l’incident du Dogger Bank devint rapidement un motif littéraire et satirique dénonçant l’incompétence impériale et le militarisme absurde.

Les humoristes britanniques s’en emparèrent aussitôt. L’essai « Bethink Yourselves! » de Léon Tolstoï, publié quelques mois plus tôt, le 27 juin 1904, apparaît rétrospectivement prophétique. L’auteur de Guerre et Paix (1869) y condamnait la futilité des guerres modernes et la dispensabilité des vies ordinaires sous la paranoïa étatique. Dans L’Agent secret, Stevie, jeune garçon innocent, est broyé par les machinations politiques des adultes.

« Encore la guerre, encore des souffrances inutiles ; encore la fraude ; encore l’abrutissement et la stupeur universelle des hommes », déplorait Tolstoï face à une guerre qui se terminerait par la victoire totale d’un Japon désormais puissance mondiale … et par la révolution de 1905, prélude à la révolution bolchevique d’octobre 1917 qui mit fin à l’empire russe.

Et tout commença par un empire tirant sur deux pêcheurs au nom d’une guerre inutile.

Une réponse à « Quand un empire prend peur et tire sur deux pêcheurs »

  1. […] ses ports au commerce américain. Pourquoi ne pas la raviver en y ajoutant, pour la route, quelques pêcheurs assassinés dans la mer des Caraïbes ? Après tout, le plan ne présente aucune […]

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