Hier, en bonne haïtienne du pays que je suis, je célébrais la cérémonie du Bois Caïman en aidant des jeunes filles à définir leurs projets citoyens pour la prochaine année. Et non à réagir à l’annonce d’Erik Prince et son «contrat» de 10 ans avec une administration de transition qui ne peut engager personne.
Ce n’est pas la première fois qu’un étranger militarisé rêve d’un bail décennal sur nos fonctions régaliennes.
En octobre 2015, Wilson Laleau, alors ministre des Finances, signait un protocole d’accord avec la firme israélienne HLS International Ltd pour surveiller ports, aéroports et frontière haïtiano-dominicaine. Côté HLSI, la signature revenait à Eva Peled : ex-lieutenant de l’aviation israélienne, vice-présidente de la société, aujourd’hui directrice pays Mitrelli en Côte d’Ivoire et, accessoirement, patronne de la firme d’exploitation minière Geomine. Mais l’intraçable entreprise israélienne, enregistrée aux Seychelles et reliée à des sociétés basées dans les Îles Vierges britanniques, n’était sans doute pas préparée à traiter avec l’inénarrable administration haïtienne.
Pendant quelque temps, des allégations d’irrégularités financières ont émergé, notamment concernant un virement ou une lettre de crédit d’environ 20 millions de dollars. Des allégations réfutées par le ministre Laleau qui précisa qu’il s’agissait d’une lettre de crédit conditionnelle dûment approuvée par les instances compétentes et pour laquelle aucun virement n’avait encore été fait. Le protocole d’accord eut le destin habituel des engagements de l’État haïtien et n’aboutit à rien. L’ancienne LRD International, filiale du LRD Group (aujourd’hui Mitrelli Group) fondé par d’anciens militaires israéliens avait pourtant signé avec une administration élue — quoique sur le départ. Pour toute l’assurance que cela a pu leur offrir.
Heureusement, l’aventure ivoirienne de Mme Peled se passe mieux. Mitrelli intervient dans tous les domaines — des élections à l’éducation, jusqu’à la culture. Au mois de juin, l’Israélienne a été reçue en audience par la première dame française de Côte d’Ivoire, à qui elle a présenté un grand producteur américain intéressé à mettre en valeur le patrimoine ivoirien à Hollywood.
J’ai bon espoir que les rêves de Prince pour Haïti — quels qu’ils soient — subissent un sort similaire à ceux de Peled. Certes, le contrat avec Vectus Global, la nouvelle compagnie du grand ami de Donald J. Trump, va plus loin dans les tâches régaliennes de l’État que ne l’a jamais rêvé HLSI. Mais j’ai foi en l’absolue réalité du fait bien haïtien que la loi, c’est du papier, et qu’elle n’engage que ceux qui y croient. Et, voyez-vous, allergiques aux règles, nous ne croyons pas aux lois.
Ce n’est pas que la continuité dans le recours à des entreprises privées étrangères militarisées pour combler nos déficits structurels en matière de sécurité et de gestion des frontières ne devrait pas inquiéter. Le niveau d’ingérence opérationnelle du contrat réputé signé avec Prince est particulièrement préoccupant : il introduit une force armée étrangère directement sur le terrain, dotée de pouvoirs de coercition et d’un rôle dans les recettes fiscales. C’est à l’État, et non à un mercenaire à la réputation sulfureuse, de gérer le racket que nous impose le contrat social haïtien qu’il faudrait d’ailleurs renégocier.
Dans dix ans, peut-être qu’un autre rêve régalien étrange(r) de dix ans viendra s’ajouter à la collection. Nous pourrions même en faire une tradition.





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