Hier, l’Assemblée législative salvadorienne a approuvé une réforme constitutionnelle abolissant les limites de mandat présidentiel et allongeant la durée du mandat à six ans. Désormais, Nayib Bukele pourrait rester président indéfiniment … tant que les électeurs continuent de le vouloir.

Mon trait toxique  est que je ne crois pas les limites de mandat démocratiques. Les citoyens doivent pouvoir voter pour qui ils veulent, tant qu’ils ont la liberté de le faire. Barack Obama aurait sans doute été élu une troisième fois sans cette limite de deux mandats. Imaginez un monde où Donald Trump n’aurait pas été élu en 2016 : nous ne serions probablement pas dans cette timeline étrange où la planète semble glisser vers une réaction autoritaire aux allures edgelord… depuis la mort d’Harambe.

Plus sérieusement, comme le soulignait Alexander Hamilton dans le Federalist No. 72, les électeurs doivent pouvoir conserver un dirigeant expérimenté aussi longtemps qu’ils le jugent utile. Dans quel autre domaine se précipite‑t‑on pour remplacer quelqu’un de compétent uniquement parce qu’il a atteint une date limite arbitraire, sans lien avec ses performances ? Hamilton affirmait que ces limites empêchaient un président aguerri d’agir efficacement, notamment en temps de crise, et que la stabilité exécutive était un atout.

Pendant longtemps, cette vision a prévalu. Ce n’est qu’après le quatrième mandat de Franklin Delano Roosevelt — et ses politiques « socialistes » (au sens américain du terme  pour tout ce qui ne s’aligne pas sur un capitalisme libertaire sans frein) — que les élites économiques américaines se sont empressées, via le 22ème amendement, de rectifier l’erreur.

Proposé en mars 1947 par un Congrès à la majorité républicaine fraîchement élue, l’amendement vise explicitement à empêcher qu’un président puisse imiter l’exception Roosevelt. La campagne est portée par des républicains conservateurs et leurs alliés de toujours des démocrates du Sud hostiles au New Deal, qui y voyaient une dérive vers un État social fort et un exécutif trop puissant. La nouvelle loi constitutionnelle dispose qu’aucune personne ne peut être élue à la présidence plus de deux fois — ou plus d’une fois si elle avait déjà exercé plus de deux ans du mandat d’un autre président.

Il fallut moins de quatre ans pour que les trois quarts des États le ratifient : la ratification finale eut lieu le 27 février 1951. Fait intéressant : l’amendement ne s’appliquait pas rétroactivement, ce qui permettait au président en exercice lors de la ratification, Harry S. Truman, de se représenter s’il le souhaitait. Truman, pourtant critique de la réforme qu’il considérait comme « une limitation de la liberté du peuple », choisit de ne pas se présenter en 1952.

De 1776 à 1951, soit 175 ans, un seul président a dépassé les deux mandats : Roosevelt. C’est bien une prreuve qu’en l’absence de limite, les électeurs savent naturellement renouveler ou non leur dirigeant. En démocratie, ce sont les élections régulières qui font office de garde‑fou. Les partisans des limites objectent qu’elles empêchent la dérive autoritaire. Mais les dérives peuvent exister avec ou sans limites . Il y a bien sûr, Vladimir Poutine en Russie, alternant les postes de président et de Premier ministre pour contourner les limites constitutionnelles mais aussi Lee Kuan Yew resté Premier ministre de Singapour 31 ans sans réélection illimitée formelle. Nous ferons l’économie des régimes en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Asie centrale et ailleurs qui, de façon quasi-routinière, contournent ou vident les limites de leur substance.

Les défenseurs des limites de mandat parlent de « nécessité d’alternance » et de « risque de corruption » liés à l’enracinement. Comme si la corruption était partisane et non systémique. Limiter la durée d’un mandat ne supprime pas la tentation du clientélisme, des conflits d’intérêts ou de la capture de l’État par des élites économiques.

La rééligibilité illimitée valorise avant tout la liberté de choix des électeurs, ce qui reste la condition fondamentale de la démocratie. Bien sûr, la liberté de vote ne suffit pas : il faut des institutions solides pour réguler le pouvoir, protéger les droits et garantir des élections libres. Mais c’est au peuple — et à lui seul — de décider qui le représente et pour combien de temps.

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