Le salaire officiel d’un·e membre du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) est de 225 000 gourdes par mois. Son ou sa conjoint·e, sans autre mérite que de partager sa couche, touche 500 000 gourdes supplémentaires en « frais pour conjoint·e ». Endurer la présence d’un de ces parasites, qui nous coûte chacun·e plus de 10 millions de gourdes par mois, serait paraît-il un sacrifice tel qu’il mérite d’être payé : près de 30 fois le salaire minimum, plus de 13 fois le salaire moyen d’un fonctionnaire d’État.

Ce détail grotesque n’est pas une aberration isolée. Il est le reflet d’une logique assumée de pillage, méthodiquement décrite dans le rapport du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), publié le 25 avril 2025 sous le titre Mauvaise gouvernance, insécurité, corruption et impunité : En une année, le CPT a envenimé la situation déjà préoccupante du pays. Comme souvent, le RNDDH livre ses révélations sans documents publics à l’appui, mais la constance de ses alertes, et l’état du pays sous nos yeux, imposent de les prendre au sérieux.

Sur le plan financier d’abord : chaque membre du Conseil bénéficie, en plus de son salaire, de « frais d’intelligence », de cartes de débit alimentées en millions de gourdes, d’allocations pour réfrigérateur et nourriture, ainsi que de frais spéciaux pour les fêtes. Dans ce pillage organisé des caisses publiques, chaque membre du CPT accumule, au-delà de son salaire, une cascade d’allocations :

  • 4,5 millions de gourdes pour « frais d’intelligence »,
  • 2,5 millions de gourdes sur carte de débit,
  • 400 000 gourdes pour une deuxième résidence,
  • 300 000 gourdes pour du carburant,
  • 500 000 gourdes pour le ou la conjoint.e,

sans oublier 3,5 millions par mois pour petits-déjeuners et lunchs collectifs.

À l’année, leur coût cumulé dépasse 1,122 milliard de gourdes — sans aucun contrôle extérieur, puisque l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), censé vérifier leur gestion, n’a jamais été mis en place.

Sur le plan sécuritaire, le rapport dénombre treize massacres et attaques armées majeures sous le CPT — à Carrefour, Gressier, Pont-Sondé, Kenscoff, Cité Soleil, Châteaublond, Mirebalais, entre autres — sans qu’aucun plan sérieux de sécurisation ne soit mis en œuvre. Le Conseil National de Sécurité (CNS) n’a jamais vu le jour. L’état d’urgence est décrété à répétition, sans effet, pendant que le territoire national continue d’être grignoté par les groupes armés.

Sur le plan judiciaire, la situation est tout aussi désastreuse. La majorité des plaintes déposées par les victimes des massacres sont restées sans suite. Le taux de détention préventive illégale a atteint 82 %. Cinq prisons ont été vidées sous les attaques armées, sans que les autorités ne réagissent autrement que par l’inauguration de locaux précaires.

Quant aux libertés publiques, elles sont de plus en plus menacées. Manifestations citoyennes réprimées à balles réelles, attaques contre des médias (dont Radio Télévision Caraïbes, Radio Mélodie FM, Storm TV, Télé Pluriel), enlèvements de journalistes à Mirebalais, incendies organisés : toute velléité d’expression publique est progressivement criminalisée.

Le RNDDH montre enfin que la corruption structurelle s’est renforcée : les postes de direction dans les grandes institutions publiques (AAN, FNE, DINEPA, OFNAC, CONATEL, ONA, etc.) ont été distribués entre les membres du CPT et leurs clans, non sur la base de la compétence, mais selon un « partage de gâteau » méthodiquement organisé.

Dans un tel contexte, l’allocation de 500 000 gourdes pour un·e conjoint·e n’est pas une anomalie. C’est le condensé parfait du fonctionnement du CPT : un pouvoir de transition qui a cessé de même faire semblant de gouverner pour se muer en machine à capter, à privatiser ce qui reste d’un État en ruines.

Loin d’être un excès isolé, cette générosité envers les conjoints s’inscrit dans une politique de dilapidation systématique qui, à défaut de provoquer une indignation immédiate, risque d’installer dans la société haïtienne une accoutumance à l’inacceptable. Le RNDDH décrit un Conseil Présidentiel de Transition qui, en une année, non seulement a trahi tous ses engagements, mais a aggravé la corruption, l’insécurité et l’impunité dans des proportions rarement atteintes.

Ce que nous vivons n’est pas une simple faillite de gouvernance. C’est un acte de guerre contre la société. Ils nous narguent. Ils nous volent. Convaincus que nous allons, au mieux, nous en offusquer. Ce n’est pas seulement du mépris. Et certainement pas que de la méchanceté. C’est une provocation froide, calculée, assumée.


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