Hier, Port-au-Prince a une fois de plus été le théâtre d’une violence insoutenable. À Turgeau, un agent de sécurité privé, blessé par balles sur un campus universitaire, a dû être évacué en urgence. À Pétion-Ville, dix membres d’une même famille sont restés bloqués dans un hôtel, incapables de rentrer chez eux avant tard dans la nuit. À Christ-Roi, un ferronnier de ma connaissance a été arrêté par des membres de gangs alors qu’il tentait de rentrer chez lui. Ils étaient trois à être retenus. L’un d’entre eux—ayant « fait rebelle »—n’a pas survécu. Il a été exécuté, séance tenante.
Ces événements tragiques ont touché, en une seule et même journée, des personnes de mon entourage. Ce ne sont pas des statistiques, des faits divers rapportés ici et là, au détour d’un message sur un forum WhatsApp ou d’un tweet vu par trois personnes. Hier, dans la capitale, une violence inouïe s’est emparée des rues. Des hommes armés ont attaqué un convoi évacuant le personnel médical du Centre d’Urgence de Turgeau, contraignant Médecins Sans Frontières à suspendre ses activités dans cet hôpital vital. Des quartiers entiers sont livrés aux gangs, et la population, nos voisins, nos amis, vivent dans la terreur quotidienne.
Pendant ce temps, au Conseil présidentiel de transition, on s’active à faire semblant que tout va bien et on communique régulièrement sur ses avancées photogéniques. Le 14 mars, le Conseil publiait fièrement un communiqué sur la modernisation de la Radio Télévision Nationale d’Haïti—un besoin effectivement urgent, étant donné que la seule politique qui semble désormais exister céans est celle du spectacle. Hier, alors que toute la capitale retenait son souffle sous le sifflement des balles des gangs, Edgard Leblanc Fils, premier président du CPT, s’est rendu à l’église Notre-Dame d’Altagrâce à Delmas pour présenter ses condoléances aux familles de deux soldats assassinés à Delmas 30.Le compte X de la présidence a relayé ce geste de compassion présidentielle, comme si c’était une réponse suffisante à l’horreur qui s’abat chaque jour sur la population. Du reste, que peut-on espérer d’un Conseil dont le précédent et second président, face à l’escalade de la violence, s’était contenté d’offrir des prières à Notre-Dame du Perpétuel Secours et d’organiser une séance de prière avec le Pape ?
Les priorités du CPT sont évidemment déconnectées de la réalité. En quelques mois, ces messieurs et dames ont vu leur train de vie changer radicalement. Finis les petits salaires, finies les restrictions. Leurs revenus directs frôlent désormais le million de dollars par an, sans compter les avantages en nature. Ce ne sont plus les mêmes conseillers qui, dès l’accès à une carte de crédit acquise dans des circonstances douteuses auprès de la BNC, se sont empressés de l’utiliser pour faire l’épicerie et s’acheter quelques vêtements. Devenus de nouvelles créatures, ils roulent désormais en 4×4 blindés sous haute protection policière, visitent le pays en hélicoptère—les routes et l’aéroport étant, par la grâce des gangs, devenus impraticables—et participent à des rencontres internationales de haut niveau.
Ce CPT, imposé en avril 2024 après le coup d’État contre Ariel Henry, se voulait une lueur d’espoir pour Haïti. Près d’un an plus tard, la situation ne fait qu’empirer. Les gangs contrôlent 85 % de Port-au-Prince. Des familles entières sont déplacées, des hôpitaux ferment, des écoles ne fonctionnent plus. Les promesses d’élections et de réformes restent des mots creux, de simples éléments de langage destinés à entretenir l’illusion d’une gouvernance. Il n’y a ni calendrier électoral sérieux, ni stratégie de sécurité claire, ni effort tangible pour reprendre le contrôle du pays.
Ce matin, 7 h, alors que les échos des violences d’hier hantent encore la capitale, j’échangeais avec une amie gynécologue, pour laquelle je m’inquiète en silence chaque jour, sur son adorable garçon. Elle était déjà en route pour la maternité, où elle s’efforce d’offrir aux femmes haïtiennes des soins essentiels.
Essentiels, parce qu’être enceinte en Haïti est un risque mortel. Parce qu’ici, une femme peut mourir d’une hémorragie post-partum faute de banque de sang fonctionnelle. Parce que dans ce pays, accoucher en toute sécurité est un luxe que seules celles qui ont les moyens de s’envoler pour Miami peuvent s’offrir.
Essentiels, parce qu’elle sait qu’elle pourrait être braquée en chemin, qu’elle pourrait se retrouver face à des hommes armés qui ne lui laisseront pas le choix, qu’elle pourrait ne jamais revenir auprès de son fils. Essentiels, parce que son hôpital pourrait fermer demain, faute de médicaments, faute de sécurité, faute d’un État qui se soucie de son existence.
Mon amie incarne cette résistance silencieuse de ceux et celles qui, envers et contre tout, continuent de croire en et s’acharnent à « faire pays ». Pendant qu’elle sauve des vies sous la menace des balles, le CPT s’engraisse, parade et fait semblant. Pendant que les hôpitaux ferment, ils organisent des cocktails. Pendant que le peuple souffre, ils organisent des séances photo.
Et ce sont nos impôts, nos fonds publics et, autant le reconnaître, l’argent des bailleurs qui financent ce cirque. Chaque dollar injecté dans ce Conseil est un dollar de plus pour des privilèges indécents, des voyages inutiles et des postes fictifs, pendant que nous comptons nos morts.
Leur confort est payé par nos angoisses. Le peuple haïtien mérite mieux. Nous méritons mieux. Mon amie et son garçon mérient mieux. Il faut arrêter ce carnage, et cela commence par leur couper les vivres.





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