C’est le troisième billet en autant de jours que j’écris sur l’affaire Blema et j’espère que ce sera le dernier. Je l’écris pour répondre à certaines de vos interrogations – et minuscules attaques – quant à mon souhait – désormais réalisé – de voir démis de ses fonctions un ministre pour qui son album photos, à lire sa note de presse d’hier, vaut bien la mort de quelques concitoyens. J’ai répondu directement à nombre de vos interventions, mais il en est une qui revient trop souvent à chaque fois qu’un (ancien) haut fonctionnaire est mis en cause pour que je ne prenne le temps d’y répondre longuement, de façon argumentée et pour ainsi dire pédagogique.
Allons droit au but : un.e ancien.ne ministre ne bénéficie d’aucune immunité liée à ses anciennes fonctions. Il est passible des tribunaux de droit commun comme vous et moi, comme n’importe quel.le citoyen.ne. Commençons par le fameux article 93, celui qui est généralement brandi par des avocats peu scrupuleux profitant de la culture juridique lacunaire du public haïtien – voire, il faut bien le reconnaître, de nos juges – pour créer une confusion sur les différents types de responsabilités et offrir à leurs clients une immunité factice.
L’argumentaire n’est pas nouveau. Un ami publiciste me rappelle qu’en 1904, ces mêmes arguties ont été utilisées pour les consolidards. À ce sujet, le Parlement a voté une loi de clarification encore en vigueur : la loi du 28 juin 1904 sur la compétence des tribunaux ordinaires pour les fonctionnaires visés par la loi du 7 juillet 1871, quand ils ne sont plus en fonction. L’article premier de la loi est clair : lorsque le président de la République et les fonctionnaires visés par la loi du 7 juillet 1871 ne sont plus en fonction et qu’il y a lieu de les poursuivre à l’occasion de crimes et délits commis pendant qu’ils étaient en fonction, les seules formalités à remplir sont celles prévues par le code d’instruction criminelle. La Cour de Cassation a prononcé un arrêt resté célèbre, celui du 14 septembre 1904, rappelant que la garantie constitutionnelle n’est accordée qu’en vue de la fonction et non du titulaire de la fonction, en sorte que, dépouillé d’icelle, ce dernier tombe de plein pied dans le droit commun et devient justiciable des tribunaux ordinaires qui agissent à son égard dans la plénitude de leur compétence juridictionnelle.
Mais, puisque nous semblons avoir oublié, argumentons de nouveau.
L’article 93 de la Constitution de 1987 prévoit que les ministres sont responsables devant la Chambre des Députés pour des actes qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions. Il est également précisé que cette responsabilité peut donner lieu à une mise en accusation devant la Haute Cour de Justice, une juridiction spéciale prévue par la Constitution pour juger le président, les ministres et autres hauts fonctionnaires, encore que, dans le contexte actuel, cette juridiction n’est pas fonctionnelle en raison de l’absence des institutions parlementaires requises. Ce passage est souvent mal interprété comme conférant une immunité perpétuelle, alors qu’il s’agit simplement d’un cadre constitutionnel pour leur mise en accusation pendant qu’ils sont en fonction. Une fois révoqués, ils tombent sous le coup des lois de droit commun comme tout autre citoyen.
Dans le cas précis du citoyen Blema, l’article 264 du Code pénal est limpide : toute personne qui, par négligence, imprudence ou inattention, cause involontairement la mort d’autrui est coupable d’homicide involontaire. Il n’y a aucune distinction à faire entre un ministre, un simple fonctionnaire ou un citoyen ordinaire dans l’application de cette disposition. La négligence manifeste du Dr Duckenson Lorthe Blema – organiser une cérémonie dans une zone contrôlée par des gangs sans mesures de sécurité appropriées et y inviter des journalistes, exposés à un danger évident – relève clairement de cette disposition. Une enquête approfondie est nécessaire pour établir toutes les responsabilités dans cette affaire et garantir que justice soit rendue aux victimes.
Un homicide involontaire par négligence, même s’il est lié à des responsabilités ministérielles, est une infraction pénale qui peut désormais être jugée par un tribunal correctionnel. Le parquet compétent peut ouvrir une instruction judiciaire pour établir les faits et déterminer la responsabilité du ministre révoqué. Une plainte peut être déposée par les parties affectées, et l’État peut aussi se constituer partie civile si l’acte a causé des préjudices à l’intérêt public. Dans le cas où la négligence ayant conduit à l’homicide est directement liée à une décision politique ou administrative, cela peut encore soulever des débats sur la responsabilité personnelle du ministre versus la responsabilité de l’État. Dans ce cas, une enquête pourrait viser à établir si le ministre a agi de manière personnelle ou en tant que représentant de l’État. Le ministère public peut saisir le cabinet d’instruction ou faire une citation directe au correctionnel. Les proches des victimes peuvent déposer une plainte. Cela pourrait aboutir à une enquête pénale. Si une faute pénale est établie, le ministre sera jugé par un tribunal correctionnel.
Pour dissiper toute ambiguïté, j’ai pris le soin de rédiger un modèle de plainte utilisable par tout citoyen ou toute citoyenne qui souhaite demander justice dans cette affaire ou dans une affaire similaire. Il est essentiel de rappeler que dans un État de droit, aucun statut ministériel, passé ou présent, ne confère une immunité face aux conséquences juridiques d’actes répréhensibles.
Les défenseurs de l’impunité invoquent souvent des interprétations biaisées des textes juridiques pour protéger les puissants. Nous devons rester vigilants face à ces stratagèmes et insister sur l’égalité de tous devant la loi. La mort de deux journalistes et d’un policier lors de l’incident du 24 décembre 2024 à l’Hôpital Général n’était pas une fatalité : elle résulte d’une négligence criminelle que nous avons le devoir de dénoncer et de poursuivre.
J’espère que ce billet – et le modèle de plainte joint – contribuera à démystifier la question de la responsabilité des anciens hauts fonctionnaires de l’État et inciter les citoyens à devenir plus exigeants face à l’impunité. Aucun privilège de fonction ne devrait jamais servir de bouclier à l’injustice.
Modèle de plainte pour Haïtien.ne du pays
À l’attention de Monsieur le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince
Me Lionnel Constant Bourgouin
Objet : Plainte pour homicide involontaire par négligence contre Dr Duckenson Lorthe Blema, ancien ministre de la Santé publique et de la Population
Monsieur le Commissaire du Gouvernement,
Par la présente, je, soussigné(e), [prénom et nom de l’Haitien.ne du pays], agissant en tant que citoyen(ne) préoccupé(e) par la justice et la sécurité publique, souhaite porter plainte contre Dr Duckenson Lorthe Blema, ancien ministre de la Santé publique et de la Population, pour homicide involontaire par négligence, en vertu de l’article 264 du Code pénal haïtien.
Exposé des faits
Le 24 décembre 2024, à la veille de Noël, une cérémonie de réouverture de l’Hôpital Universitaire de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), mieux connu sous le nom d’Hôpital Général, a été organisée à l’initiative de Dr Duckenson Lorthe Blema, alors ministre de la Santé publique et de la Population.
Cette cérémonie a eu lieu dans une zone notoirement contrôlée par des gangs armés, sans :
- Notification formelle ou coordination avec les forces de l’ordre, notamment la Police Nationale d’Haïti ;
- Consultation ou implication des ministères compétents, comme celui de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales ;
- Prise de mesures de sécurité adéquates pour protéger les participants.
De plus, plusieurs journalistes avaient été invités à couvrir l’événement, augmentant le risque d’exposition.
À environ 11 heures du matin, des gangs ont pris d’assaut l’Hôpital Général, causant un massacre tragique ayant entraîné :
- La mort de deux journalistes, Markenzy Nathoux et Jimmy Jean ;
- La mort d’un policier présent sur les lieux, Daniel Renaud ;
- Plusieurs blessés graves parmi les participants.
Pendant ce drame, Dr Duckenson Lorthe Blema, qui avait donné rendez-vous à 9 heures pour cet événement, se trouvait ailleurs, au siège du ministère, occupé à l’installation d’un nouveau directeur général pour l’Hôpital Général.
Fondement juridique
En organisant cette cérémonie dans des conditions aussi risquées, Dr Duckenson Lorthe Blema a fait preuve d’une négligence flagrante, constituant une violation de l’article 264 du Code pénal haïtien, qui dispose que:
« Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide, ou en aura involontairement été la cause, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, et d’une amende de trente-deux gourdes à quatre-vingt-seize gourdes. »
Les faits démontrent une imprudence et une négligence graves ayant entraîné la mort de citoyens et de représentants des forces de l’ordre.
Demandes
En conséquence, je demande :
- L’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire pour établir les responsabilités pénales de Dr Duckenson Lorthe Blema en vertu de l’article 264 du Code pénal haïtien ;
- La convocation et l’audition des témoins présents lors de l’incident, notamment les membres des médias, le personnel de santé, et les forces de l’ordre sur place ;
- La mise en accusation de Dr Duckenson Lorthe Blema devant le tribunal compétent ;
- La reconnaissance publique que les anciens ministres sont passibles des tribunaux de droit commun pour leurs actes ou omissions, même après leur révocation.
Je me tiens à votre disposition pour fournir tout élément complémentaire ou pour toute clarification nécessaire.
Dans l’attente de votre diligence, je vous prie d’agréer, Monsieur le Commissaire du Gouvernement, l’expression de mes salutations respectueuses.
[Signature]
[prénom et nom de l’Haitien.ne du pays]
Documents à annexer :
- Copies d’articles de presse relatant l’événement ;
- Témoignages écrits de victimes ou de témoins (si disponibles) ;
- Tout autre document pertinent.
Pour le témoignage d’un photographe de presse, témoin de l’attaque, visiter Africa News https://fr.africanews.com/embed/2712108





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