Le 20 décembre 2024, la firme Chemonics International a accepté de payer 3,1 millions de dollars pour régler des allégations de facturation frauduleuse dans le cadre du contrat Global Health Supply Chain – Procurement and Supply Management (GHSC-PSM). Selon le communiqué officiel de la USAID, Chemonics a soumis des demandes de remboursement frauduleuses à l’agence d’aide internationale, en surfacturant les services de livraison de son sous-traitant Zenith Carex au Nigeria entre 2017 et 2020.
L’agence a également mis en lumière des défaillances systémiques au sein de Chemonics, telles qu’un contrôle financier inadéquat, un manque de supervision et une formation insuffisante du personnel — des lacunes surprenantes pour le plus grand contractant lucratif de l’agence américaine d’aide internationale. Toutefois, ces révélations n’étonneront guère les Haïtiens, habitués à la gestion douteuse des fonds internationaux par cette entreprise. Après le séisme de 2010, Chemonics avait reçu 150 million de dollars dont les dépenses restent généralement introuvables dans les audits publics. Il est toutefois établi que 98 928 dollars ont été versés au Mouvement Tèt Kale (MTK), mouvement politique responsable de l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly et de sa clique de « bandits légaux » dont le régime a précipité Haïti dans la crise actuelle.
Pendant des années, le journaliste et chercheur Jake Johnston s’est consacré à l’analyse des flux financiers et des structures de pouvoir associés à cette entreprise. Après cinq ans de demandes FOIA (Freedom of Information Act), Johnston n’a réussi à obtenir qu’une divulgation très partielle des informations demandées, 88 % des documents aient été retenus par la USAID. Près de 500 financements liés aux opérations de Chemonics en Haïti ont été occultés, limitant toute transparence sur l’usage de ces fonds. Dans son livre Aid State, Johnston montre comment l’USAID tend à privilégier les contractants américains plutôt que les populations locales qu’elle est censée aider.
Cette opacité devient d’autant plus préoccupante lorsqu’on se rappelle que Chemonics a été fondée par Thurston F. Teele, un ancien analyste de l’USAID. Après avoir quitté l’agence, il a créé une entreprise qui est aujourd’hui devenue le plus grand bénéficiaire des fonds de l’USAID, une situation qui soulève de sérieuses questions sur de possibles conflits d’intérêts et sur la manière dont l’aide internationale est gérée et attribuée. Un exemple marquant de cette connivence est que le directeur pays de Chemonics en Haïti jusqu’en avril 2024 était une ancienne ministre de la santé sous Martelly, mise en cause, dans le scandale des fonds Petrocaribe, notamment pour avoir signé un contrat avec une personne décédée.
Le 9 décembre 2024, la congresswoman Mariannette Miller-Meeks, républicaine de l’Iowa, a adressé une lettre à Samantha Power, administratrice de l’USAID, exprimant des inquiétudes sérieuses quant à la gestion et à la transparence du projet GHSC-PSM qui, avec un budget de 9,5 milliards de dollars, est le plus grand contrat jamais attribué par l’USAID. Mme Miller-Meeks a également demandé des précisions sur NextGen, le programme qui doit succéder au GHSC-PSM, avec un budget potentiel de 17 milliards de dollars. Ces inquiétudes font écho à une enquête publiée en 2023 par The Bureau of Investigative Journalism et le journaliste Michael Igoe, qui avaient révélé des failles systémiques dans la gestion de ce programme, notamment dans la livraison de fournitures médicales essentielles.
Le problème dépasse toutefois une seule entreprise. Il s’inscrit dans une problématique plus large de l’aide internationale, où des contractants lucratifs monopolisent les financements, marginalisant les ONG locales et les gouvernements nationaux. En Haïti, cette dépendance perpétue une véritable « économie de l’aide », qui écarte les bénéficiaires locaux tout en renforçant des structures inefficaces et inadaptées.
En cette veille de Noël, symbole de générosité, de partage et d’espoir, cette situation invite à réfléchir à la signification profonde de l’aide. Pour qu’elle reste fidèle à ses valeurs, l’aide internationale doit être guidée par des principes d’honnêteté, de transparence et de justice, et orientée vers des solutions durables et inclusives. Cela signifie replacer les populations locales au cœur des décisions, au lieu de privilégier des opérateurs motivés par le profit. Noël est l’occasion idéale de réaffirmer que l’aide internationale ne doit pas être une industrie mais un acte de solidarité véritable, au service des peuples qu’elle prétend soutenir.





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