Ce 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, et le commandant du Hamas Ibrahim al-Masri (présumé mort). Ces mandats portent sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité liés à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et à la réponse militaire israélienne à Gaza. Cette décision marque un moment historique pour une Cour souvent accusée de cibler principalement des dirigeants du Sud. En s’attaquant à Israël, un État puissant et allié clé des États-Unis, la CPI se heurte à des intérêts majeurs, mettant en lumière les contradictions de l’« ordre international basé sur des règles » promu par l’Occident et risquant de précipiter une crise profonde dans le système international.

En mai 2024, lorsque des enquêtes contre Israël semblaient imminentes, les réactions occidentales étaient déjà dominées par des critiques et des tentatives de minimisation. Le Premier ministre britannique Rishi Sunak, dont le pays est à l’origine de la partition ayant débouché sur ce conflit quasi-centenaire, avait jugé ces enquêtes « potentiellement biaisées » et estimé qu’elles risquaient d’entraver les négociations de paix. Son homologue canadien Justin Trudeau avait quant à lui qualifié ces enquêtes de « contre-productives pour la paix au Moyen-Orient ». Plus prudent, le président français Emmanuel Macron avait réaffirmé le respect de la France pour le rôle de la CPI tout en insistant sur « le besoin de maintenir des relations équilibrées dans la région ». De son côté, Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, avait rappelé l’importance pour la CPI de rester indépendante tout en évitant de compromettre des relations stratégiques avec Israël.

Aux États-Unis d’Amérique, l’administration Biden s’était montrée résolument plus tranchée en qualifiant l’idée même d’enquêter sur Israël de « profondément troublante » tout en affirmant son soutien inconditionnel au droit d’Israël à se défendre. Des élus du Congrès américain, y compris des démocrates, avaient alors proposé des sanctions contre la CPI si elle poursuivait sur cette voie. En juin 2024, la Chambre des représentants avait d’ailleurs adopté un projet de loi intitulé « Illegitimate Court Counteraction Act », visant à imposer des sanctions aux membres de la CPI impliqués dans des enquêtes concernant des alliés des États-Unis, notamment Israël. Le texte, qui avait reçu un large soutien avec 247 voix pour et 155 contre, est resté bloqué au Sénat.

Aujourd’hui, le contexte politique aux États-Unis a changé. Avec la récente victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle et le retour des Républicains à la majorité au Sénat avec au moins 52 sièges, les chances d’adoption de ce projet de loi ont considérablement augmenté. Le paysage législatif est également marqué par l’influence accrue de l’AIPAC, le puissant lobby pro-Israël, qui a soutenu 361 candidats aux élections de 2024, investissant plus de 53 millions de dollars. Ces efforts ont porté leurs fruits, avec 97 % des candidats soutenus remportant leur élection. Dans ce contexte, il est fort probable que la loi soit adoptée sous la nouvelle administration et que des sanctions soient imposées à la CPI, en écho aux mesures prises en 2020 sous le précédent mandat de Trump. À cette époque, les États-Unis avaient déjà sanctionné la procureure Fatou Bensouda, pour avoir enquêté sur des crimes de guerre commis par des forces américaines en Afghanistan. Ces sanctions, bien que sans précédent, s’inscrivaient dans la continuité de la relation tendue qu’entretiennent les États-Unis avec la Cour depuis la promulgation de l’American Service-Members’ Protection Act de 2002, surnommé le « Hague Invasion Act », qui autorise des mesures visant à protéger les citoyens américains de poursuites devant la CPI.

Ce rejet américain de la CPI repose sur une contradiction flagrante. Lorsque la CPI enquêtait sur des dirigeants africains, les pays occidentaux, États-Unis en tête, saluaient son rôle dans la justice internationale. Aujourd’hui, ces mêmes nations qualifient la Cour de « politisée », « dangereuse » ou « absurde » dès qu’elle s’attaque à des puissants ou à leurs alliés. Cette hypocrisie alimente la perception que la CPI est un outil des puissants pour punir les faibles, renforçant un déséquilibre systémique dans l’ordre mondial où les pays du Sud global sont les premiers à rendre des comptes tandis que les grandes puissances et leurs alliés échappent systématiquement à la justice.

    Le traitement des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens témoigne d’une crise plus large au sein de l’ordre international. Si les États-Unis imposent des sanctions à la CPI, ce sera une preuve supplémentaire de leur refus de respecter les principes qu’ils imposent pourtant aux autres. Ce double standard s’inscrit dans une longue liste d’actions qui ont déjà sapé la confiance dans le leadership occidental : de l’invasion de l’Irak sous de faux prétextes à leur retrait d’accords multilatéraux comme l’Accord de Paris sur le climat ou l’accord sur le nucléaire iranien. Dans le Sud global, cette hypocrisie alimente une méfiance croissante envers les institutions dominées par l’Occident, tandis que des blocs comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) développent des alternatives aux systèmes existants, comme la Banque de Développement des BRICS, pour contourner les institutions comme le FMI ou la Banque mondiale.

    Le veto de la Chine et de la Russie hier, rejetant la demande américaine de transformer la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS) en Haïti en une opération officielle de maintien de la paix des Nations Unies, reflète cette méfiance croissante. Pékin et Moscou ont perçu cette demande comme une tentative d’instrumentalisation des institutions internationales par les États-Unis pour légitimer une intervention dont les objectifs réels restent flous. Ce veto et le débat autour de la CPI signalent un monde en pleine mutation. L’ordre unipolaire dominé par les États-Unis cède la place à un système multipolaire où les règles sont de plus en plus contestées et appliquées de manière sélective.

    Pour Haïti, comprendre ces dynamiques est crucial. Alors que notre pays est souvent utilisé comme un terrain de jeu pour des agendas étrangers à son peuple, il est essentiel de rester vigilant face à ces luttes de pouvoir globales. La justice et la stabilité ne viendront pas des grandes puissances, mais de notre capacité à défendre nos propres intérêts dans un système international de plus en plus incertain.

    Une réponse à « La Cour pénale internationale émet un mandat contre Netanyahou, et les États-Unis sanctionneront probablement… la Cour »

    1. […] de conservateurs hostiles à la démocratie. Benjamin Netanyahu, en Israël, préfère encourir une inculpation pour crimes de guerre à Gaza plutôt que d’affronter la justice de son pays, où il est accusé de corruption. Donald Trump, […]

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