En Haïti, obtenir un extrait de son acte de naissance, renouveler son passeport ou même payer ses taxes est rarement un acte simple. Ici, le citoyen lambda doit souvent passer par des racketeurs. Ces fonctionnaires de l’ombre, véritables charons de l’administration, monnayent l’accès aux services publics. La corruption dite « petite » est tellement ancrée dans notre quotidien qu’elle n’éveille plus d’indignation. C’est le prix à payer pour exister officiellement. Et cette logique s’étend aux plus hauts échelons de la gouvernance, où obtenir un contrat public ou un poste à responsabilité suit exactement les mêmes règles.
Le rapport accablant de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), concernant l’affaire impliquant Raoul Pascal Pierre-Louis et des membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), confirme (comme si nous en avions encore besoin) que la corruption, loin d’être une exception, est devenue une pratique intégrée dans la gouvernance haïtienne.
Selon ce rapport, trois membres du CPT – Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire, et Louis Gérald Gilles – ont demandé une somme de 100 millions de gourdes (environ 750 000 dollars américains) à Raoul Pascal Pierre-Louis pour qu’il soit reconduit à son poste de président du Conseil d’administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Celui-ci, loin de dénoncer ces pratiques sur-le-champ, a proposé une ligne de crédit ou des cartes de crédit pour « faciliter » sa reconduction.
L’aisance avec laquelle ce haut-fonctionnaire a proposé une « solution » à la demande de pots-de-vin des conseillers-présidents est sans doute l’information la plus importante du rapport. Cette réponse rapide, presque automatique, révèle l’état désastreux du pouvoir actuel. La carte de crédit devient ainsi une monnaie d’échange tout aussi banale qu’un service public monnayé par un fonctionnaire à l’avenue Christophe. Le rapport met en lumière une réalité que nous connaissons tous : en Haïti, la corruption n’est pas seulement tolérée, elle est attendue. On ne négocie même plus la légitimité d’un poste, mais son prix.
Monsieur Pierre-Louis a fini par dénoncer l’extorsion au Premier Ministre Gary Conille, comme l’exige son statut d’agent public, en vertu de l’article 11 de la loi du 12 mars 2014 sur la prévention et la répression de la corruption. Toutefois, cette dénonciation est intervenue après qu’il ait octroyé des cartes de crédit de façon irrégulière à ses interlocuteurs pour conserver son poste. Il s’agit là d’un acte de corruption active, en offrant des avantages à des membres du CPT en échange d’une faveur, ce qui constitue de leur part un acte de corruption passive.
En agissant ainsi, Raoul Pascal Pierre-Louis a violé plusieurs dispositions légales, notamment celles concernant l’abus de fonction et le versement de pots-de-vin. Les membres du CPT se sont également exposés à des accusations d’enrichissement illicite et potentiellement de blanchiment de capitaux à travers leurs transactions avec les cartes de crédit émise.
L’ULCC a mené une enquête rigoureuse, collectant des preuves et des témoignages, retraçant les transactions financières pour exposer les rouages de la corruption dans les hautes sphères de l’État. Mais que faire de ces révélations ? Sans sanctions sévères et une véritable volonté politique de nettoyer le système, ce rapport risque de rejoindre la longue liste des scandales qui, tout au plus, entraînent quelques démissions, mais n’aboutissent à rien. Sur la presque centaine de rapports publiés par l’ULCC, un seul a abouti à une condamnation.
L’un des principaux accomplissements du #PetroCaribeChallenge a été d’inscrire durablement la lutte contre la corruption dans l’agenda public. Cependant, depuis 2018, cette réussite s’accompagne d’un échec cuisant : la dénonciation sans conséquence. Le mouvement a su mobiliser plusieurs générations, mettant les dirigeants face à une exigence croissante de justice et de transparence. Toutefois, les nombreuses enquêtes qui ont suivi n’ont apporté aucun changement concret. L’impunité demeure la norme, et les scandales continuent de s’accumuler, sans que la justice ne prenne le relais pour engager des actions décisives.
Ce rapport ne doit pas en être un de plus dans un pays où les scandales de corruption s’accumulent sans qu’aucune réforme significative ne soit mise en place. Il accable un système profondément vicié, où la corruption n’est pas simplement une anomalie, mais une pratique courante. Si ce rapport est ignoré, si aucune sanction ne suit, alors nous aurons la preuve que la corruption a définitivement gagné.
L’Haïti de demain, celle dont nous rêvons, ne peut plus fonctionner selon les règles de la corruption d’aujourd’hui. Que ce soit dans les bureaux des administrations publiques ou dans les chambres des hôtels de luxe où se décident les affaires de l’État, la corruption doit être combattue à tous les niveaux. Si nous n’agissons pas maintenant, nous resterons prisonniers d’un cercle vicieux où le pot-de-vin est roi et où l’intérêt commun n’a plus de place.





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