C’est la deuxième fois en deux ans que Widlore Mérancourt, éditeur en chef du journal en ligne AyiboPost, fait l’objet d’un article du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). En 2023, il s’agissait d’une poursuite en diffamation par la propriétaire du rhum Barbancourt suite à une enquête qu’il avait signée. Cette année, la menace est bien plus grave. Jimmy Cherizier, alias Barbecue, chef de gang notoire sous sanction internationale, a directement menacé Widlore de représailles pour avoir eu l’outrecuidance de dénoncer des cadeaux offerts à ce criminel par des journalistes de l’agence Reuters.

Quand un journaliste devient la cible d’un criminel, c’est la vérité elle-même qui est menacée. Dans cette vidéo datée du 25 septembre 2024, que j’ai hésité à partager – mais qu’il me paraît utile d’écouter pour le contexte – le chef du G-9, à la tête de la plus grande fédération de gangs du pays, insiste qu’il n’a jamais reçu d’argent de journalistes étrangers et menace clairement de s’en prendre au journaliste. « Je viens pour toi, retiens bien mes mots : il y a des gens avec qui tu ne veux pas t’emmêler. Tu pourrais être dans ta salle de bain et une voiture pourrait venir s’écraser sur toi », déclare-t-il d’un ton à glacer le sang.

De telles menaces ne sont pas à prendre à la légère. Classée troisième en 2023 par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) parmi les pays les plus dangereux pour les journalistes, Haïti figure derrière des pays comme le Mexique et l’Afghanistan, où la violence contre la presse est particulièrement élevée. Ils s’appellent Jean Léopold Dominique, Brignol Lindor, Jacques Roche, Rospide Pétion, Vladjimir Legagneur… Ils sont des dizaines de journalistes assassinés dans un pays où l’impunité est la norme et où la mort d’un journaliste est un fait divers de plus.

Widlore Mérancourt, lui, n’en est pas à sa première épreuve. C’est d’ailleurs la troisième fois que ce journaliste primé devient lui-même sujet d’actualité plutôt que celui qui la raconte. En 2021, deux hommes armés l’ont menacé de mort avant de lui voler sa voiture, le contraignant à fuir en courant pour sauver sa vie. Des mois plus tard, après avoir reconnu son véhicule en circulation, Mérancourt avait dû alerter lui-même la police, qui arrêta un soldat de l’armée d’Haïti au volant de la voiture volée, en possession de drogue et d’une arme illégale. On ne sait si ce soldat avait participé au braquage, mais il fut libéré dans des conditions douteuses, exposant le journaliste à d’éventuelles représailles.

Combien de temps encore allons-nous tolérer l’indifférence face à ces menaces ? Tandis que nos dirigeants s’affrontent pour savoir qui aura le droit d’inonder les réseaux sociaux de photos prises chez le Blan, des vies sont prises en otage par la peur et les gangs. Pendant que les projecteurs sont braqués sur les querelles diplomatiques stériles de nos élites, dans l’ombre, ceux qui informent sont laissés à la merci des gangs. Plus que jamais, informer est devenu un acte de bravoure presque insensé dans un pays où la vérité perd continuellement en importance.

Widlore Mérancourt, par son travail, nous rappelle que le rôle du journaliste est d’exposer, d’éclairer, de dévoiler les vérités que certains voudraient taire. Mais dans cette quête acharnée de l’information, il ne devrait pas être une cible. Sans journalistes, une république ne peut espérer survivre. Sans information, nous ne pouvons juger ceux qui nous gouvernent. Il est impossible de croire à un quelconque avenir démocratique si ceux qui nous informent doivent vivre dans la terreur.

Cette vidéo du chef du G-9 ne doit pas être banalisée. Des menaces similaires à l’encontre de citoyens, voire de communautés entières, ont déjà été mises à exécution. Il est temps de dire stop. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un autre journaliste. Je me refuse à perdre Widlore. La liberté de la presse n’est pas seulement une question de principe, c’est une question de survie pour la vérité et la démocratie. Widlore Mérancourt ne doit pas devenir un autre martyr de l’indifférence.

Il nous faut réagir. Des mesures concrètes doivent être prises. La sécurité de Widlore Mérancourt et de tous les journalistes haïtiens doit être priorisée, non seulement par des organismes internationaux, mais aussi par la société civile et les acteurs locaux. Il est urgent de mettre fin à cette culture d’impunité et de silence.

La presse n’est pas un ennemi à abattre, mais un pilier essentiel de la démocratie. Protéger les journalistes, c’est protéger notre droit à l’information, notre capacité à juger par nous-mêmes, notre liberté tout simplement. Ne laissons pas l’indifférence et la peur museler ceux qui ont le courage de parler.

Sans journalistes pour éclairer nos chemins, nous ne sommes que des voyageurs perdus dans la nuit. Et la nuit haïtienne, sombre et remplie de terreurs, dure depuis déjà trop longtemps.

2 réponses à « Widlore Mérancourt, symbole d’une presse menacée dans une indifférence coupable »

  1. […] L’enquête de Widlore Mérancourt de viser juste puisque, le 25 septembre 2024, Chérizier de publier une nouvelle vidéo, […]

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  2. […] Quant aux libertés publiques, elles sont de plus en plus menacées. Manifestations citoyennes réprimées à balles réelles, attaques contre des médias (dont Radio Télévision Caraïbes, Radio Mélodie FM, Storm TV, Télé Pluriel), enlèvements de journalistes à Mirebalais, incendies organisés : toute velléité d’expression publique est progressivement criminalisée. […]

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