Ce n’est pas souvent que des correspondances de l’administration haïtienne me laissent admirative. Généralement, elles déclenchent un fremdscham si profond que je l’anticipe avant même la lecture. Pas cette fois.
La lettre, adressée à la Chancelière Dominique Dupuy adopte un style concis, clair, et éminemment professionnel, évitant le ton bureaucratique pesant qui prévaut souvent dans ce type de communication. La correspondance du directeur de Cabinet du Conseil Présidentiel de Transition est aussi élégante que tranchante mais surtout elle est d’une efficacité redoutable.

Cette convocation arrive dans un contexte politique chargé. Mme Dupuy fait face à de sérieuses critiques pour sa gestion de la participation d’Edgard Leblanc Fils, président du CPT, à la 79ème Assemblée générale des Nations Unies. Hier soir, la question avait été évoquée lors d’un Conseil des ministres tendu où, selon Le Nouvelliste, des insultes auraient fusé entre les participants. La correspondance de M. Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste suit cette rencontre, et sa sobriété n’en est que plus remarquable.
La ministre Dupuy est soupçonnée d’avoir favorisé la Primature, prenant fait et cause pour Garry Conille au détriment de la Présidence – et donc du président du CPT – pourtant responsable de la conduite des relations internationales du pays. L’article 139 de la Constitution confie à la Présidence le pouvoir exclusif de diriger la politique étrangère. Le CPT, se réclamant de la Présidence, détient donc ce privilège. Cette présomption est renforcée par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, qui stipule que c’est aux autorités de l’État, et donc à l’organe exécutif reconnu, qu’incombent les relations diplomatiques officielles. Il n’est donc pas déraisonnable de supposer que le président du CPT, en tant que représentant principal du Conseil présidentiel, aurait dû gérer ces questions à l’Assemblée générale des Nations Unies – un rôle que la Primature ne saurait usurper sans empiéter sur ses prérogatives constitutionnelles.
Madame Dupuy n’est pas étrangère aux polémiques. Quelques mois plus tôt, elle avait déjà été blâmée par le ministre des Affaires Étrangères d’alors, Jean Victor Généus, pour avoir accepté une proposition de rejoindre le CPT sans consulter ses supérieurs. Une lettre devenue virale l’accusait d’avoir violé l’article 70 de l’arrêté du 11 avril 2013. Mme Dupuy, dont la candidature avait suscité des remous, avait d’ailleurs fini par décliner l’offre de rejoindre le CPT… avant que le Premier ministre Conille, nommé par le CPT, ne la désigne Chancelière.
La demande à la ministre d’apporter des documents spécifiques, relatifs à des questions aussi délicates que les rencontres bilatérales ou la sécurité de la délégation, met en avant le sérieux de cette rencontre. L’enjeu est lourd : il s’agit de savoir ce qui s’est vraiment passé dans la gestion de ce dossier et d’imposer un moment de vérité.
Ce qui frappe le plus dans cette correspondance, c’est son ton mesuré mais percutant. Le directeur de Cabinet prend soin de garder une distance respectueuse tout en s’assurant que le message est bien reçu. La lettre réussit à poser les bases d’un échange tendu, sans jamais tomber dans l’invective, ce qui est un exploit en soi dans le contexte actuel. C’est une maîtrise assez rare dans le milieu administratif haïtien pour qu’elle soit soulignée.
Je donnerais cher pour être présente lors de cette rencontre, qui promet d’être aussi stratégique que nerveuse.





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