Le 28 juin 2024, le nouveau Premier Ministre haïtien, le Dr Garry Conille, s’est envolé pour Washington DC. Jusque-là, rien de bien extraordinaire, si ce n’est qu’il l’a fait sans l’aval du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) qui n’ en a été informé que quelques heures avant le décollage via un message WhatsApp. Quelques membres du CPT s’en étant plaints au Nouvelliste, l’équipe du Dr Conille a tenu à préciser qu’une lettre aurait été également acheminée à la présidence du conseil.
Depuis, les proches du Premier Ministre tentent de justifier ce voyage inattendu en partageant une lettre officielle datée du même jour, adressée au Conseil et qui aurait été reçu le 27 juin, soit un jour avant le départ – ce que le conseil nie. Ce document, reproduit ci-dessous, évoquait une « tournée d’inspection » de l’ambassade haïtienne à Washington DC, pour laquelle le Dr Conille s’est senti obligé de conduire une délégation.

Au-delà de la forme de la correspondance, dont le seul point positif est qu’elle utilise la bonne formule de politesse – le Premier Ministre présente sa haute considération comme il se doit lorsqu’on s’adresse à un supérieur hiérarchique – c’est l’initiative même de cette mission qui interpelle. Pourquoi un chef de gouvernement partirait-il en mission urgente sans consulter préalablement le CPT ? Pourquoi cette inspection devait-elle être menée si rapidement, et pourquoi une tâche aussi simple nécessitait-elle l’intervention directe du Premier Ministre ? Mais surtout, comment comprendre un si long voyage hors du pays aux lendemains de l’arrivée de la mission multinationale d’appui à la sécurité attendue depuis un an ?
La mission dirigée par le Kénya a mis du temps à se matérialiser. Le 25 juin, un premier contingent de 200 soldats est enfin arrivé en Haïti pour soutenir la police nationale dans sa lutte contre les gangs armés. Le Premier Ministre est le président du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN). M. Conille étant également Ministre de l’Intérieur est de surcoût vice-président de cette instance. Son absence prolongée, alors que 80% de la capitale est sous le contrôle des gangs, semble difficilement justifiable et soulève des questions sur les priorités gouvernementales en cette période de crise sécuritaire majeure. D’autant plus lorsque le motif officiel de ce voyage est une simple inspection d’ambassade.
L’irrégularité de l’intervention directe du Premier Ministre dans la diplomatie est flagrante, non seulement en regard de la Constitution, mais aussi des conventions diplomatiques générales. La Constitution de 1987 est claire sur le rôle du Président de la République en matière de politique étrangère et de représentation de l’État. Les articles 158 à 162 stipulent que ces responsabilités incombent au Président. Les Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires renforcent cette idée en affirmant que le chef de l’État est le principal représentant diplomatique. En revanche, le rôle du Premier Ministre se limite généralement aux affaires intérieures.
L’implication directe de M. Conille dans des affaires diplomatiques, sans consultation préalable du CPT, pose donc de sérieuses questions, notamment sur ce « devoir » de diriger une délégation dont le Premier Ministre a informé le Président du CPT. Dans des circonstances normales, une telle mission serait menée par le Président ou, à défaut, sous sa directive explicite. Mais si les instructions ne sont pas venues de la présidence, à qui les attribuer ? Au Blan – lire les États-Unis d’Amérique – qui a fortement suggéré au CPT la nomination de Conille comme Premier ministre de la République ?
Simple hasard du calendrier sans doute, alors que le Dr Conille se trouvait à Washington, des membres du CPT ont célébré la fête de l’Indépendance américaine à l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince. Cette situation (re)pose sans doute la question de la présence fréquente des représentants de l’État dans les ambassades étrangères, alors que le protocole voudrait que ce soient les ambassadeurs qui viennent rendre hommage au chef de l’État. Mais ceci est un débat pour un autre jour.
Pour mieux signifier l’insignifiance du CPT, les réseaux sociaux du Premier Ministre et de sa délégation ont montré que l’agenda réellement suivi n’était pas du tout celui communiqué au CPT. Loin de l’inspection annoncée, l’agenda effectif comprenait des rencontres avec la diaspora, des élus américains, des bailleurs de fonds et le secrétaire d’État américain Anthony Blinken. La présence du Ministre de l’Économie et des Finances parmi la délégation suggère que tout cela était prévu avant le départ et donc avant l’envoi de la fameuse lettre.
Cette situation met en lumière non seulement des pratiques diplomatiques douteuses mais aussi les dynamiques internes du gouvernement, où les priorités semblent définies de manière ad hoc, sans la consultation appropriée des organes décisionnels.





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