Le christianisme repose sur la certitude de la résurrection du Christ. Après tout, comme le dit Paul, « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine » (1 Corinthiens 15:14). Pourtant, dans la Bible, et particulièrement dans les Évangiles, il est difficile de trouver un récit où les divergences sont plus nombreuses que celui de la résurrection. Celles-ci vont de la la première apparition de Jésus – le lieu de cette apparition, qui a vu Jésus en premier, le nombre d’apparitions à Marie Madeleine, les instructions données aux femmes, les rencontres post-résurrection – à l’ascension, en passant par les détails liés à la résurrection tels que les actions des femmes au tombeau, la préparation des épices, les détails sur les linges funéraires, l’état de la pierre devant le tombeau, l’interaction des femmes avec Jésus ou encore le nombre d’anges au tombeau.

Le tableau ci-dessous reprend quelques-unes de ces divergences telles qu’elles apparaissent dans les 4 évangiles:

ÉvénementMatthieuMarcLucJean
Actions des femmes au tombeauS’y rendre pour oindre le corps (28:1)S’y rendre pour oindre le corps (16:1)S’y rendre pour oindre le corps mais les hommes ont déjà oint Jésus (24:1-3)Pas de mention d’une visite pour oindre le corps
Préparation des aromatesAvant le sabbat (28:1)Après le sabbat (16:1)Avant le sabbat (23:56)N/A
Nombre d’anges au tombeauUn ange (28:2-7)Aucun détail sur les angesDeux hommes (24:4)Deux anges (20:12)
Pierre à l’entrée du tombeauLa pierre était roulée loin du tombeau à l’arrivée des femmes (28:2)La pierre était déjà roulée quand les femmes sont arrivées (16:4)N/AN/A
Qui a vu Jésus en premier après la résurrectionMarie Madeleine (28:9)Marie Madeleine (16:9)Deux disciples d’Emmaüs (24:13-35)Marie Madeleine (20:1-18)
Détails de la rencontre de Marie Madeleine avec JésusElle touche ses pieds (28:9-10)Elle est mentionnée (16:9)Elle rapporte aux apôtres (24:10-12)Elle touche Jésus (20:14-18)
Nombre d’apparitions à Marie MadeleineUne (28:1-10)N/AUne (24:10)Deux (20:11-18)
Interaction des femmes avec JésusRencontres avec Jésus et le touchent (28:9)N/AJésus apparaît aux femmes, mais pas de contact mentionné (24:13-35)Marie de Magdala (Marie Madeleine) touche Jésus (20:17)
Lieu de la première apparition de Jésus après la résurrectionEn Galilée (28:16-20)Pas spécifié (16:14)À Jérusalem (24:13-53)À Jérusalem (20:19-23)
Rencontres post-résurrectionRencontres sur une montagne en Galilée (28:16-17)Pas de mention d’une rencontre en GaliléeRencontres à Jérusalem, y compris avec deux disciples sur le chemin d’Emmaüs (24:13-35) et dans une pièce avec les onze disciples (24:36-49)Rencontre dans une pièce verrouillée à Jérusalem (20:19-23), puis au bord de la mer de Tibériade (21:1-14)
Instructions aux femmes pour les disciplesSe rendre en Galilée où ils rencontreront Jésus (28:7,10)Se rendre en Galilée où ils rencontreront Jésus (16:7)Pas de mention d’instructions pour rencontrer Jésus en GaliléePas de mention d’instructions pour rencontrer Jésus en Galilée
AscensionPas de mention de l’ascensionPas de mention de l’ascensionAscension le jour de la résurrection (24:50-53)Pas de mention de l’ascension
Tableau présentant quelques-unes des divergences principales entre les récits de la résurrection dans les quatre Évangiles

Par sa résurrection, Jésus bouleverse les attentes et les croyances de son époque. Après tout, à une ou deux exceptions près, « nul n’est monté au ciel sinon celui qui est en descendu » (Jean 3:13). La résurrection du Christ défie les lois de la nature et les fondements de la foi juive. Sa nature disruptive crée un effet de confusion qui rappelle l’apparition puis le départ d’une autre figure tout aussi pertubatrice qui est tout à la fois son semblable et son opposé: le diable Woland dans le très subversif Le Maitre et Marguerite (1940-67) de Mikhaïl Boulgakov.

L’arrivée à Moscou de Woland, professeur de magie noire, crée un chaos moral et intellectuel révélateur des hypocrisies de la société moscovite. Elle déclenche une série d’événements étranges et surréalistes mettant en évidence les mensonges des élites, auxquels il réserve des jugements moraux souvent brutaux. Au cours d’une séance de magie organisée au Théâtre des Variétés à Moscou, des spectateurs sont exposés dans leurs tentatives de dissimulation ou de manipulation, d’autres sont confrontés à leurs préjugés et à leur manque de compassion, des objets apparaissent et disparaissent de manière inexplicable, le critique littéraire Latounski disparaît de manière tout aussi soudaine et mystérieuse… Pour ajouter à la confusion, le professeur prédit la mort imminente par décapitation via tramway de Berlioz, rédacteur en chef du journal littéraire « La Variété », représentatif de l’intelligentsia moscovite. Sa mort dans les conditions annoncées achèvera de confirmer les pouvoirs surnaturels de Woland et renforcer la terreur ressentie parmi les témoins.

Jésus, aussi disruptif qu’il puisse être, ne fait pas dans la terreur. Enfin, peut-être pas de façon aussi directe. Après tout, c’est bien lui qui explique n’être pas venu apporter la paix mais le glaive (Matthieu 10:34). Toutefois, lui aussi est à l’origine d’événements surnaturels – des miracles, là où Woland procède à des tours de magie – qui vont avoir un impact tout aussi profond sur les témoins, suscitant l’étonnement, la foi et la conversion. Les malades sont guéris, les aveugles recouvrent la vue et les morts reviennent à la vie ; les tempêtes sont apaisées, l’eau se transforme en vin, Jésus marche sur l’eau ; pains et poissons se multiplient ; les démons sont exorcisés et, pinacle de ses miracles, Jésus confirme sa victoire sur la mort par la résurrection, inaugurant une nouvelle ère de vie éternelle pour ses disciples.

Cette victoire, il la partage d’abord avec Marie Madeleine, disciple dévouée avec qui il entretenait une relation particulière, disciple loyale qui l’a accompagné lors de nombreux moments de sa vie et de son ministère, y compris lors de sa crucifixion et de son ensevelissement, disciple à qui il confie la tâche de porter la nouvelle de sa résurrection aux autres disciples. Des disciples qui, plus tard, décideront que les femmes doivent se taire dans l’assemblée (1 Corinthiens 14:34-35), mais c’est là une histoire pour un autre jour.

Marie Madeleine est introduite au chapitre huit de l’Évangile selon Luc comme celle « de laquelle étaient sortis sept démons ». Elle est présentée parmi d’autres femmes qui « servaient [Jésus] en prenant sur leurs ressources », mettant leur argent là où leur bouche est, soutenant le ministère de Jésus par tous les moyens possibles. Témoin privilégié de la résurrection du Christ, elle est l’apôtre des apôtres, prête à suivre son Maître jusqu’au bout et à témoigner de sa Bonne Nouvelle malgré les risques et les obstacles. En cela, elle rappelle Marguerite, prête à tout pour retrouver le Maître et lui offrir son soutien, même si le prix à payer est particulièrement élevé. Marguerite fait un pacte avec Woland pour sauver Le Maître, son amant, un écrivain auteur d’un roman sur Ponce Pilate et Jésus mais brisé d’avoir vu son travail rejeté.

Le Maître et Jésus – Rabbouni! c’est-à-dire, Maître (Jean 20:16) – représentent un idéal, l’un artistique, l’autre spirituel, là où Marguerite et Madeleine incarnent l’amour, le sacrifice, la dévotion et la rédemption. Dans les deux cas, les maîtres sont des entrepreneurs de normes, remettant en question les sociétés de leurs époques respectives. Le premier, les conventions artistiques et sociales ; le second, les traditions religieuses et les systèmes de pouvoir:

Je lui ai dit que tout pouvoir est une violence exercée sur les gens, et que le temps viendra où il n’y aura plus de pouvoir, ni celui des Césars, ni aucun autre. L’homme entrera dans le règne de la vérité et de la justice, où tout pouvoir sera devenu inutile.

Mikhaïl Boulgakov, Le Maitre et Marguerite (1940)

Jésus, s’étant approché, leur parla ainsi: Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit.

Matthieu 28:18-20

À la fin du récit, les deux disparaissent, laissant derrière eux une grande confusion et un sentiment de perte chez des disciples déconcertés par leur absence et incapables de comprendre pleinement ce qui s’est passé. D’autres, attachés au statu quo et menacés par le changement, réagissent par la peur et le rejet du Maître et de sa remise en question de l’ordre établi. Latounski rejette ouvertement les œuvres d’un Maître et cherche à le discréditer. Les autorités religieuses sont ouvertement hostiles au ministère d’un autre Maître et cherchent à le discréditer. Ces réactions illustrent les thèmes universels de l’incertitude face à l’inconnu et de la résistance face à la remise en question des normes établies.

C’est certainement remarquable que, dans les deux récits, ce soient les femmes qui embrassent le changement et diffusent la bonne nouvelle. Plus ouvertes au changement et plus réceptives aux idées nouvelles, elles occupent un rôle central dans la promotion du changement spirituel et social. Dans le roman de Boulgakov, Marguerite fait preuve de courage, d’acceptation mais surtout de détermination. La disparition du Maître et son propre voyage dans le monde des démons ne la dévient pas de ses convictions ni de sa quête de vérité. Sa capacité à embrasser l’inconnu la place au cœur de la quête de sens qui sous-tend l’histoire. Dans les Évangiles, Marie-Madeleine endosse le rôle de leadership spirituel qui lui est confié. La crucifixion de Jésus ne la détourne pas de son engagement à soutenir son ministère jusqu’à la tombe et au-delà. Plus que leur fidélité exemplaire, c’est leur ouverture d’esprit et leur aptitude à accepter le changement qui lient profondément Marguerite et Marie-Madeleine, reflétant ainsi une dimension essentielle de la transformation humaine : la foi dans l’humanité.

À un moment donné, Woland et ses acolytes font apparaître, en chair et en os, Ponce Pilate, le gouverneur romain qui a condamné Jésus à la crucifixion. Revêtu de ses habits romains et accompagné de son fidèle serviteur, il se retrouve plongé dans un environnement complètement étranger, celui du Moscou du XXe siècle, où il provoque étonnement et confusion. Cette apparition de Pilate va au-delà d’un simple tour de magie. C’est le lieu d’une réflexion sur la nature du pouvoir, en particulier les dilemmes moraux et les choix auxquels sont confrontés les dirigeants – tout comme les individus ordinaires – à travers les époques. Un rappel que les actions et les conséquences du passé continuent d’influencer le présent, et que les enseignements pertinents du passé sont d’une importance capitale face aux défis du présent.


NB: Toutes mes excuses pour l’annulation de l’étude biblique de dimanche dernier. Mon pays adoré aimant se rappeler à mon bon souvenir, je me suis retrouvée avec une panne de courant qui a duré de 6h du matin à 8h du soir. En l’absence d’Internet, j’ai tout de même pris le temps de refaire connaissance avec l’oeuvre complète de Shakespeare. Qui sait, cela pourrait peut-être se révéler utile pour une prochaine étude.

Comme d’habitude, le lien pour vos suggestions anonymes est ici: https://ngl.link/laloidemabouche

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