La première fois que je me suis intéressée à Delphine Gardère, elle était à l’aéroport Toussaint Louverture. Elle portait des jeans palazzo bleus, un haut blanc et des sandales Hermès. Vous savez lesquelles. Celles que portaient, deux étés de suite, toutes les blogueuses mode du monde entier. Je n’écris pas sur la mode mais j’avais moi-même succombé à leurs charmes – avant de très vite me les faire déposséder par M., à mon corps défendant – et de voir les Oran aux pieds de Mme Gardère m’avait fait sourire.

Mes rencontres de chaussures à l’aéroport sont légendaires. Je revois encore mon frère exaspéré de me voir engagée dans une longue conversation avec deux inconnues venues me dire à quel point elles adooooooraient mes chaussures. L’une était canadienne – nous étions à Pierre Trudeau – l’autre était allemande, j’étais haïtienne, les chaussures étaient brésiliennes et cette rencontre internationale au sommet inquiétait un peu mon frère persuadé que nous risquions de rater notre vol américain, faute d’avoir passé l’immigration à temps.  J’ai une belle amitié qui a débuté parce que nous portions toutes deux , à l’aéroport, des escarpins du même créateur malais. Il est également certaine  ancienne chef d’Etat, à qui je n’avais rien demandé, qui m’avait promis une paire de chaussures d’un jeune créateur canadien dont je n’avais pas retenu le nom. Mais c’était à un hôtel et non à un aéroport, peut-être que cela ne compte pas.  Les chaussures n’arrivant pas, j’ai essayé de les googler, à l’aide d’un descriptif, pour les acheter moi-même, sans succès. Quant à l’ancienne chef d’État, elle a eu son lot de problèmes depuis. Une coïncidence sans doute.

De Mme Gardère donc, j’ai d’abord vu les sandales. Puis, le pantalon – qui était magnifique. J’ai dû voir le visage mais sans trop m’en rappeler. Ce n’est que sur Twitter, bien plus tard, que je me suis rendue compte de qui était leur propriétaire. J’en ai déduit que j’aimais bien son style.  De temps à autre, ses tweets apparaissent sur mon fil d’actualités. Ils parlent de l’entreprise familiale qu’elle dirige, la fondation d’entreprise et, parfois, d’un sujet quelconque du zeitgeist. J’ai dû la retweeter une fois ou dix. Une initiative sur le cancer du sein. Un programme pour les jeunes. Le rhum Barbancourt, fierté haitienne, gagnant un énième trophée … Je crois qu’elle suit le compte de ce blog.

La première fois que j’ai entendu parler de Delphine Gardère, c’était lors d’une bataille très publicisée pour la succession de son père. L’affaire s’était soldée par un arbitrage en sa faveur et elle prit la tête de la compagnie. Je crois en avoir vaguement discuté avec un ami avocat. Comme tout le monde, nous recevions les dernières nouvelles de l’affaire – nous connaissions également certaines des personnes impliquées – et je me rappelle que nous étions plutôt admiratifs – dans le sens primaire du terme – de sa pugnacité, sa sagacité, voire même ce qui semblait être une ambition impitoyable. Nous en avions conclu que notre rhum national serait entre des mains compétentes. Nous n’en demandions pas plus. Mme Gardère, elle, si. Visiblement.

Récemment, elle s’est fait élire présidente de la chambre franco-haïtienne de commerce et d’industrie et, comment dire, ces messieurs sont en PLS. Ils ont trop le seum de s’être faits owned par une #girlboss. Askip, ils l’accusent d’un « coup d’État » avec mainmise totale sur la CFHCI. Le journal en ligne AyiboPost présente à ce sujet un article très fouillé qui mérite le détour. Mais ce n’est pas tant le contenu de l’accusation qui m’intrigue que le fait qu’elle existe.

Je n’ose pas encore parler de misogynie – encore que certaine attaque particulièrement vile portée contre Mme Gardère ces derniers mois semble aller dans ce sens. Peut-être s’agit-il simplement de la vieille garde résistant à l’assaut de la jeunesse. Il est vrai que la CFHCI de Gardère est d’emblée plus diverse. Son CA réunit entreprise industrielle, cabinets d’avocats, société de gestion, banque, personnalité médiatique et même une lunetterie. Les nouveaux membres – à l’origine du « bourrage d’urnes » ayant conduit au « coup d’État » – viennent de secteurs plus larges de l’économie ainsi que de la province. Cela bouscule les schèmes établis et suffit peut-être à expliquer la réaction.

L’on reprocherait à Delphine Gardère d’avoir exploité une faille dans la charte de la chambre pour en doubler l’électorat deux jours avant le vote et garantir ainsi son élection. Soit, une manœuvre parfaitement dans les règles et brillamment exécutée. Du reste, un coup d’État dans une chambre de commerce qui s’est jusqu’ici beaucoup plus apparentée à un club d’amis qu’autre chose, ce n’est pas très sérieux. Au pire, il s’agit d’un rachat hostile dans le cadre d’un raid. En gros, l’on reprocherait à Mme Gardère d’être une capitaliste; un reproche parfaitement valable mais qui sonne creux lorsqu’il est manié par les capitalistes extrémistes à la réputation particulièrement sulfureuse que sont nos gens d’affaires. Peut-être que, en sus de son OPA sur la CFHCI, Mme Gardère serait inspirée de brûler de la sauge ou de casser une ou deux cruches d’eau au siège de la chambre pour en chasser le mauvais oeil. Ou, elle peut tweeter positif.

Positiver a ses avantages. Mes Oran parties trop tôt, m’ont été restituées. D’une certaine façon. Une amie, de retour d’un voyage au Sénégal, m’en a ramené une superbe copie faite par un maroquinier local et elles sont magnifiques.

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