Depuis quelque temps, j’écris moins sur le blogue. Pour deux raisons majeures. Pas grand chose n’a changé depuis 2015, mes anciens billets sur l’actualité le sont tout autant aujourd’hui, et je n’aime pas me répéter. Je suis occupée à construire justement le mouvement qui changera les choses, avec l’association Ayiti Nou Vle A qui s’apprête, par ailleurs, à lancer un documentaire sur son audit social à Île à Vache dans le cadre de son engagement toujours aussi solide à obtenir que le procès PetroCaribe ait lieu. Il est pire toutefois que les choses qui ne changent pas. Le passé qui s’oublie. Le passé qu’on s’efforce d’effacer. Le passé qu’on nous vend autrement qu’il n’était. Dans ces cas-là, je prends la pause nécessaire pour rectifier, et vite, ces assauts répétés contre la mémoire des victimes, contre la mémoire d’un peuple, contre la mémoire d’une nation.
Dans Le Nouvelliste de ce matin, le kidnapping est encore une fois à la une. Les États-Unis d’Amérique, un jour après avoir annoncé leur intention de travailler avec le nouveau gouvernement d’un premier ministre qui « n’a[] pas à commenter les décisions de son chef », ont gentiment replacé Haïti dans la catégorie 4: Do Not Travel – Ne pas s’y rendre des avis du Département d’État aux voyageurs américains. Comme pour renforcer la mise en garde, au Congrès, lors d’une audition sur la situation en Haïti, l’élue du Bronx à la Chambre des représentants, la démocrate Nita Lowey, évoque, avec peine, les moments ô combien horribles de la dictature, dans les années 50 et 60, où, au moins, on ne mourrait pas dans les rues – par opposition à tous ces gens qui mourraient chez eux ? en prison ? ou mourraient, assassinés à bout portant, en pleine rue, comme les frères Ducasse et Charles Jumelle ?
Nous sommes dans la nuit du 28 au 29 août 1958, la première année d’un dictateur au projet dynastique. L’ancien ministre et candidat à la Présidence, Clément Jumelle, et ses frères, Ducasse et Charles, gênent. Leur décision de ne plus soutenir Duvalier est érigée en menace par un Président à vie à la paranoïa légendaire. Le projet Haïti Lutte contre l’impunité fait un excellent travail de restitution du contexte de ce qui pourrait s’apparenter au meurtre originel du régime duvaliériste. Il permet de saisir l’ampleur de l’avanie et de la lâcheté qui caractériseront désormais le nouveau régime sanguinaire :
Le communiqué du Ministère de l’Intérieur informe que : « ces deux révolutionnaires…dès les premières sommations, sortirent révolver au poing en faisant feu. La riposte fut fatale pour les deux. » En réalité il n’y a pas eu d’échange de tirs. Et d’ailleurs, dans cette maison personne n’était armé… Le corps de Ducasse avait été affreusement mutilé : il lui manquait un œil, la nuque était écrabouillée, les bras portaient des trous de balles à chaque articulation et le ventre était largement ouvert. Quant à Charles, il avait à la tête une blessure qui saignait encore, plusieurs jours après le décès…
28-29 août 1958 : assassinat des deux frères Jumelle Haïti Lutte contre l’impunité
C’est entre minuit et une heure du matin qu’a lieu le crime qui choquera une nation et la préparera à ce qui allait suivre : le meurtre, l’emprisonnement et l’exil de celleux qui auraient me malheur de ne pas avoir la faveur du chef. À l’angle des ruelles Rivière et Alix Roy, des anciennes connaissances, à défaut d’amis, s’approchent des deux frères et dégainent. C’est Clément Barbot qui est accusé d’avoir appuyé sur la détente. D’autres ont peut-être aidé. Le vrai coupable toutefois est celui qui les a envoyé assassiner les membres d’une famille qui l’a pourtant soutenue – y compris financièrement – quand il avait des problèmes : Papa Doc.
Au début, l’affaire, selon la formule consacrée, fit du bruit, puis, au fur et à mesure, s’installa le silence. Le silence d’un peuple terrorisé. Le silence installé par la délation et les tontons macoutes. Le silence sous peine de mort. Au point que, lorsque, un an plus tard, Papa Doc se mettra en tête d’enlever publiquement le cadavre de Clément Jumelle, mort d’une crise cardiaque à l’ambassade de Cuba où il s’était réfugié, il n’y aura personne pour piper mot. Nous avions déjà appris, et bien appris, qu’il valait mieux nous plaindre dans nos cœurs.
Merci
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Cela me fait plaisir.
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