Adieu René!

Lundi matin, je reçois un appel d’un grand lecteur de ce blogue qui voulait prendre de mes nouvelles. Patricia, me dit-il, tu es au Carnaval ?- Certainement pas, Président.- Ah, c’est comme pour les élections, alors? Écoute, le livre que je t’ai promis est arrivé, tu peux passer le chercher? J’habite à X. – Entendu. Est-ce que demain matin, 10 heures, vous irait ? – 10 heures ? OK mais il faudra prévoir de rester un peu, j’aimerais discuter du livre avec toi. Oui, même si tu ne l’auras pas encore lu.

Nous nous étions croisés avant mais c’est un billet particulier qui nous a rapprochés. Il m’avait alors appelée pour me remercier de l’avoir défendu. Comme je m’en défendais, cet ancien président, deux fois élu et souvent controversé, m’a fait remarquer, avec raison, que, pour la moitié des gens, ne pas l’acculer, c’est le défendre.

La figure de René Préval laisse rarement indifférente. Dans le paysage politique haïtien, il fait tâche. Il a nagé pour s’en sortir et nous a invités, avec une nonchalance impardonnable et qu’on ne pardonne pas, à faire de même. Certains ont cru y voir de l’indifférence, j’y ai vu un instinct de survie très poussé. Aurait-il lu ce billet, il m’aurait expliqué, avec bonheur, combien j’avais tort.

Quand un billet l’interpellait – et certain jour où il rencontra certain rédacteur en chef dans un avion – le Président Préval en discutait avec moi. Il avait des perspectives intéressantes sur certaines questions. Parfois, il me reprochait gentiment de tout intellectualiser, de chercher à tout réduire à une objectivité toute scientifique qu’il n’est pourtant pas possible d’atteindre. Il avait raison – la critique n’est pas nouvelle et revient comme un leitmotiv dans mes échanges avec ma famille, mes amis, mes lecteurs – mais on ne se refait pas. Parfois, pas très souvent, je le lui concédais. Plus souvent, j’insistais sur le besoin d’injecter une bonne dose de rationalité céans. Cela le faisait rire. D’un petit rire qu’il avait agréable et qui était irrésistible. Aussi, ce lundi 27 février, l’invitation ne m’a-t-elle pas surprise. Je me doutais bien, connaissant mon interlocuteur, que ce livre était une entrée en matière, que nous aurions à parler d’autre chose. Assurément de politique; comme j’en parle sur ce blogue, pas comme on en parle sur nos ondes.

Nous avons surtout parlé de lui. De sa vie. De ses aventures au Petit Séminaire Collège Saint Martial et de ce prêtre qui voulait lui faire payer l’outrecuidance qu’il a eu de remettre en question la suprématie absolue de tout ce qui est français en France. De ses classes redoublées parce qu’il « les aimai[t] tellement, [qu’il a] préféré y rester ».  De sa première grève sous François Duvalier. De ses études en Belgique qu’il n’a pas terminées parce qu’il n’en voyait pas l’intérêt. De son retour en Haïti. Du Bureau des mines. De l’Aéroport. De sa rencontre avec « Michèle », de leur petite boulangerie, des surplus qu’ils apportaient à un prêtre de  l’Église de Saint Jean Bosco qui distribuait du pain aux enfants des rues.

– Président, fis-je, comme j’aurais pu dire Grand-père, il faut absolument écrire vos mémoires.

– Non, pas de mémoires pour moi. Je n’en ai pas le temps. Tu sais, tu n’es pas la seule à t’inquiéter de ma santé. Ma fille, qui a d’ailleurs le même nom que toi, fait ces temps-ci des rêves où je meurs.  Tu ne fais pas de rêves prémonitoires, toi? Non ? Tant mieux. Du reste, je voulais te parler d’autre chose.

Il s’approche d’une petite table, y prend un cylindre en bambou et me demande :

-As-tu de la musique sur ton téléphone ?

– Non, mais je peux en chercher sur YouTube. Une préférence ?

– Non. N’importe quelle musique ira.

Sur l’application, la Traviata de Verdi est là. Je ne sais plus pourquoi mais cela tombe bien. Je passe mon téléphone au Président qui le place dans l’objet. La voix de Maria Callas en ressort claire et puissante.

– Ça s’appelle un bamjam, m’explique-t-il, alors que les notes continuent de s’égrener et que j’en reste interdite. Ce n’est pas tout. Attends, je vais te chercher le livre.

Il revient sur ses pas et m’invite à passer dans une autre pièce remplie de cartons. Les livres sont là : « Haïti déforestée, paysages remodelés » d’Alex Bellande. Il ouvre une boîte, en prend une copie et me la tend en m’invitant à m’arrêter sur le dernier chapitre. C’est la thèse de l’ouvrage : le reboisement d’Haïti doit se faire non pas contre mais avec les paysans. En guise d’illustration, l’ancien président me montre les meubles en bambou qui ornent la pièce – toute la maison, en fait. Il me parle de son expérience à Marmelade, la terre de sa grand-mère. Il termine sa présentation-plaidoyer sur son dernier produit dont il m’offre quelques échantillons : deux bouteilles de jus d’orange, deux bouteilles de jus de chadèque, « pasteurisé à 105 degrés pour qu’il n’y ait pas besoin de réfrigération ».

– La vérité, Patricia, est que je vais bientôt mourir. À mon âge, je ne peux plus continuer avec tout cela. Il faut désormais penser à la relève. C’est à vous autres de vous occuper de ces choses. Moi, je m’en vais.

– Mais non. Vous serez là pendant encore longtemps. Je suis toutefois très intéressée par le projet. Je vais planifier une visite avec des étudiants et quelques collègues. Nous pourrons aider avec l’opérationnalisation et la commercialisation.

– D’accord, je te dirai quand je serai prêt pour la visite…  Je devrai me dépêcher. J’ai l’âge d’être ton grand-père, tu sais ? Je t’avais bien présentée mes condoléances ? J’ai pensé à toi quand j’ai appris la nouvelle … Pour Marmelade, tu t’en charges ?

– Oui. Promis.

Il m’invita à dîner mais il était déjà une heure passée et j’étais en retard pour un dîner familial à quelques minutes de là. Il m’accompagna jusqu’à la voiture, s’entretint quelques minutes avec le chauffeur, me rappela ma promesse et me souhaita de passer une excellente fin d’après-midi.

Rentrée à la maison, j’ai posté ce message sur Twitter:

Les jours suivants, j’ai repris la présentation-plaidoyer pour chaque personne que j’ai rencontrée. Ce matin, j’en parlais à deux collègues quand l’oncle chez qui j’étais allée dîner mardi m’appela pour « vérifier la nouvelle ». Quelques minutes plus tard, j’en recevais la confirmation d’un de ses proches.

Il n’y a pas longtemps, j’ai reçu par WhatsApp, comme il est désormais de coutume, la photo de son cadavre sur un lit d’hôpital. J’aurais voulu encore prier les gens de ne pas partager cette photo. J’aurais voulu, mais, à quoi bon? Je n’en ai plus la force.

Je choisis, comme il est désormais de coutume, de me rappeler du « René » qui répondit à mon SMS le remerciant pour cette ode à un patriotisme – nous étions également allergiques au nationalisme – d’un nouveau genre:

C’est moi qui te remercie Patricia. – René

Sans doute parce que mon dernier SMS, envoyé hier soir et qui s’intéressait aux coûts de production, à la documentation sur les produits et autres questions d’une objectivité désolante, restera à jamais sans réponse.

Adieu René! Adieu et merci!

12 réflexions sur “Adieu René!

  1. J’ai une affection limité pour le personnage. Mais votre récit a quand meme failli me faire verser une larme. On oublie souvent trop vite que nos dirigeants doivent eux aussi faire face a des barrières comme nous, entretiennent des rêves comme nous et savent se montrer digne d’affection comme nous.
    Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il avait quoi que ce soit à finir pour lui faire l’honneur d’un second mandat. Il n’aura pas su montrer ni la compétence ni la sensibilité pour etre president de notre pays.
    Toutefois, après la lecture de ce papier, je m’efforcerai de croire qu’il fut un des notres. Ni meilleur, ni pire.

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  2. Nos dirigeants sont toujours mal vus mais les personnes oublient vite et souvent qu’ils sont confrontés à des problèmes qui nécessitent des efforts surhumains et le simple fait de les braver leur garantissent un mérite lui aussi surhumain. Adieu René !

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  3. Patricia @laloidemabouche, je pense que tu as herite d une mission. L ex President t a choisi pour continuer a protéger son travail a Marmelade ou a en faire la promotion afin qu il soit considere comme un projet pilote pour les autres regions. Je voudrais prendre connaissance du contenu de ce livre car il en a parle avec toi et avec le Depute Jerry Tardieu. Ce livre recele un message fort et peut être des pistes de solutions pour le secteur agricole. Merci pour ce partage.

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  4. Dommage qu’il soit parti sans laisser de mémoire. D’autres partirons comme lui avec leurs expériences, laissant derrière eux des témoignages qui ne pourront jamais remplacer l’authenticité d’un mémoire ni sa profondeur. Il n’était ni ange ni démon, juste un homme avec ses démons à combattre. Puisse-t-il trouver le repos éternel et sa famille du réconfort.

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