Un Sénateur MAGA du Missouri accuse l’Ambassade américaine d’avoir abandonné le jeune couple de missionnaires à Lison

L’assassinat de Nathalie, 21 ans, et Davy Loyd, 23 ans, un jeune couple de missionnaires américains, à Lison ce vendredi soir continue de provoquer des remous dans les milieux ultrachrétiens aux États-Unis. Les réactions sont partagées entre les condoléances aux familles de ces serviteurs de Dieu qui ont tout donné et les références à Matthieu 7:6. L’organisation Mission in Haiti Inc., par laquelle nous avions appris que le gang responsable de la mort des missionnaires était autrefois leur protecteur, a également expliqué avoir épuisé tous ses contacts pour obtenir un véhicule blindé de la police afin de les évacuer en sécurité, sans succès.

Parmi ces contacts se trouvait possiblement le Républicain Josh Hawley, Sénateur du Missouri, dont le geste de lever le poing pour encourager les insurrectionnistes du 6 janvier 2021 est rapidement devenu le symbole du soutien des élus républicains à la conspiration pour maintenir Donald Trump au pouvoir malgré sa défaite électorale. Une autre image prise le même jour le montre courant pour se mettre à l’abri, lorsque les partisans de Trump qu’il encourageait attaquèrent le Congrès où il se trouvait à politicailler. Comme disent les Américains, Life comes at you fast.

Le 24 mai 2024 sur X (anciennement Twitter), le Sénateur Hawley, fervent nationaliste chrétien, a déclaré que son bureau avait sollicité de l’aide de l’ambassade américaine alors que les Lloyd étaient assiégés, mais que celle-ci avait répondu qu’il était « trop dangereux » d’envoyer la police. Une preuve de plus, selon Hawley, que son pays était devenu faible et incapable de protéger ses citoyens contre la violence aveugle.

La rhétorique de la faiblesse des États-Unis est une constante dans le mouvement MAGA (Make America Great Again) mené par Donald Trump. Elle reflète une inquiétude plus large parmi les chrétiens conservateurs et les partisans de Trump que les États-Unis s’éloignent de leurs valeurs et principes fondamentaux, entraînant un déclin de la force et de la résilience du pays. Ils critiquent souvent ce qu’ils perçoivent comme un manque de leadership fort sur la scène mondiale. Les États-Unis seraient devenus trop passifs ou conciliants dans leurs relations avec les États étrangers. Une situation qui est encore plus frustrante lorsque le pays en question est, selon les mots de leur leader, un « shithole totally out of control. »

Ces perspectives mises de côté, la question se pose quant à la raison pour laquelle les États-Unis laissent la situation en Haïti se détériorer ainsi. Cela fait trois ans depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, deux ans depuis la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur une mission de sécurité multinationale, un an depuis que cette mission est supposée arriver incessamment, et pourtant, comme nous en avons discuté récemment, l’ambassade américaine est une île en territoire de gang, négociant le passage de ses employés, tandis qu’un homme sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI vit dans une villa rococo à dix minutes de l’ambassade et terrorise le quartier où elle se trouve.

Alors, les États-Unis sont-ils devenus trop faibles ?

Il y a vingt ans, dans son livre « L’impuissance de la puissance: essai sur les incertitudes et les espoirs des nouvelles relations internationales » (2004), le professeur Bertrand Badie explore les paradoxes et les limites du pouvoir dans le contexte des relations internationales contemporaines où les grandes puissances, malgré leur supériorité militaire et économique, échouent souvent à imposer leur volonté et à résoudre les conflits internationaux. La quatrième de couverture résume ainsi le phénomène :

La puissance n’est plus ce qu’elle était…. Les armées les plus modernes ou les plus sophistiquées échouent devant les actes de terreur les plus élémentaires… Les États-Unis sont au centre du paradoxe : jamais un État n’a, dans l’Histoire, accumulé autant de ressources de puissance ; jamais pourtant il ne s’est révélé aussi peu capable de maîtriser les enjeux auxquels il doit faire face. …Privés d’ennemi qui leur ressemblent et qui leur opposent une puissance crédible, les États-Unis doivent aujourd’hui affronter une nuisance qui change l’équation du jeu international, tout en étant redoutable et extrêmement difficile à combattre …

L’ouvrage s’intéresse également aux vulnérabilités internes des grandes puissances, notamment les problèmes sociaux, économiques et politiques qui les fragilisent de l’intérieur et finissent par affaiblir leur position sur la scène internationale. Ce qui rend le constat de faiblesse de Josh Hawley assez ironique, puisque ses actions du 6 janvier 2021 et par la suite participent activement à la fragilisation de son pays. Alors, quel avenir ? Probablement plus de faiblesse et conséquemment plus de chaos avec l’émergence d’acteurs non étatiques illicites de plus en plus forts, des Vitelhomme, Izo, Lanmò San Jou et Barbecue à l’échelle internationale, étendant progressivement leur contrôle sur les territoires perdus par les États.

Badie préconise de repenser la notion de puissance et de privilégier des solutions coopératives et inclusives pour éviter cette descente complète dans le chaos. Mais, bon, que voulez-vous, BB a toujours été un rêveur.

Une nation d’humiliés

Hier, dans son infinie mansuétude, le Conseil Électoral Provisoire a convoqué les partis politiques dans une rencontre qui, comme à l’accoutumée, n’a débouché sur rien ; le CEP ayant, comme d’habitude, mis fin à la rencontre, en filant à l’anglaise. Entre-temps, au Ministère de la Communication, un pitre pleureur a été remplacé par un pitre pantin, tandis qu’au Ministère de l’Agriculture, un pitre paillasson reprenait – ou se voyait laisser reprendre, la question n’est pas claire – la loi de sa joue. Un candidat à la députation au casier judiciaire vierge a été écarté des élections pour … condamnation pour trafic de stupéfiants … par un tribunal de Miami; le jeu sinistre et macabre entre la République Dominicaine et Haïti sur le dos des rapatriés continue ; plus de 5000 candidats sont autorisés à se présenter aux prochaines (s)élections locales  … pendant que notre Premier Ministre se fend d’un sourire de premier pitre pour sa rencontre avec le Secrétaire d’État américain, John Kerry.

Hier, comme tous les jours précédents, Haïti (et les Haïtiens) a continué de plier sous le poids d’une humiliation constante et persistante, une humiliation grave, du type présenté par Maury Silver et al. (1986) comme privant de toute capacité de rébellion. Instrument de contrôle social, l’humiliation mine le sens que l’individu a de son identité. C’est ce qui explique les caractéristiques d’impuissance et de déshumanisation qui accompagnent souvent l’expérience de l’humilié; cette Humiliation avec un grand H visant à retirer à celui-ci jusqu’à son humanité (Jean B. Miller, 1991).

Dans la dynamique de l’humiliation – la formule est de Donald C. Klein dont les travaux sur l’humiliation deviennent progressivement incontournables – le composant relationnel comprend trois rôles :

  • celui qui humilie, qui en retire un sentiment de puissance ;
  • celui est humilié, qui en garde un sentiment d’impuissance, de dégradation, voire de confusion ;
  • celui qui en est témoin, qui en acquiert la peur d’être à son tour humilié.

Des trois, le troisième est peut-être le plus dangereux et sans doute le plus à même d’expliquer la persistance de l’humiliation que nous subissons et à laquelle nous participons. Le témoin veut éviter d’être l’humilié. Aussi, lui arrive-t-il souvent d’aider l’humiliateur dans l’espoir d’éviter l’humiliation, s’humiliant par le fait même. C’est ici que l’humiliation prend tout son sens en tant que forme d’oppression. Elle établit un système de dégradations en spirale qui a servi à expliquer, entre autres, les conflits internationaux (Thomas Scheff, 1994) et auquel le Professeur Bertrand Badie a consacré ses deux derniers ouvrages, La diplomatie de connivence et Le temps des humiliés dont je recommande vivement la lecture – et pas seulement parce qu’il a été mon (brillantissime) Professeur. Lire la suite